La « politique de relance » n’est pas une « politique de croissance »

La relance budgétaire ne ferait que creuser davantage nos déficits sans régler nos problèmes structurels


Le projet de loi de finances complémentaire (LFC) examiné jeudi dernier par l’ANC constitue pour le gouvernement, le levier essentiel – et quasi unique – d’une relance de l’activité économique par un accroissement notable de la dépense publique : 21,8% par rapport à 2011 et plus de 10% par rapport au projet, déjà fort expansionniste, du précédent gouvernement de transition. Par-delà, la soutenabilité de cette énorme masse de dépenses et le réalisme des hypothèses sous-jacents à cet exercice budgétaire qui ont été déjà abordés dans ma chronique hebdomadaire de la semaine du 5 mars (Cf. TEMA n°- 220), la LFC telle que soumise à l’ANC, pose un certain nombre de problèmes de fond.
Le Go and Stop(1) est appelé à perdurer en 2013. Le gonflement sans précédent de la dépense publique dans la LFC de 2012 sera financé en bonne partie, par des ressources exceptionnelles non renouvelables et, par la dette. Il s’agit des ressources provenant de la confiscation des actifs de la nomenklatura de l’ancien régime (1200 MDT), des recettes des privatisations (1000 MDT), des «contributions volontaires » (450 MDT) et des dons extérieurs (600 MDT). Or, si les ressources ne sont pas renouvelables, les dépenses publiques par contre, offrent une rigidité certaine à la baisse.


Quid de la loi de finances 2013 qui sera nécessairement concoctée par l’équipe actuelle pour une année électorale qui sera cruciale pour la préservation de son pouvoir ? Il est clair que le Go and Stop, càd l’insouciance budgétaire, est appelé à perdurer en 2013 creusant ainsi encore davantage le trou de la finance publique. Avec quelles ressources exceptionnelles financer le soutien aux prix des produits de base qui ne sauraient être ajustés en année électorale ? Et les subventions sous toutes formes aux catégories et aux régions défavorisées ? Dans ce contexte aisément prévisible, il est difficile de soutenir que la Tunisie ne court pas un vrai risque de dérapage à l’italienne(2).


La Tunisie n’a que de très faibles marges de manœuvre en matière de dette. L’accumulation des déficits risque donc d’aboutir au cours des deux prochaines années, à un gonflement de la dette. Or, contrairement à une croyance largement répandue, la Tunisie n’a que de très faibles marges de manœuvre en matière de dette. Se basant sur le fait que le ratio de la dette publique est nettement inférieur à celui de la plupart de nos partenaires européens et même de la plupart des pays développés, la plupart des experts poussent à l’endettement pour financer la relance. Or, en la matière, le mode de financement compte davantage que le niveau de la dette elle-même. Ainsi, le Japon dont le ratio de la dette publique est supérieur à 230% ne connaît pas les affres que vivent aujourd’hui la plupart des pays européens dont les ratios sont nettement en deçà de 100%. La raison ? Le Japon puise quasi exclusivement dans ses ressources d’épargne intérieure (avec des taux d’intérêt proche de zéro) pour financer sa dette publique cependant que les autres pays cités –dont la Tunisie– recourent au marché financier international pour trouver la finance nécessaire à l’équilibre de leur budget. Bien plus, un petit pays comme la Tunisie qui ne dispose pas de la « couverture communautaire » n’est pas logé à la même enseigne qu’un petit pays européen sur le marché financier international. Un ratio de la dette publique de l’ordre de 50% y équivaut en fait à près du double. Il suffit d’observer les taux d’intérêt pratiqués sur la dette tunisienne pour s’en convaincre.


Est-ce que ce volontarisme budgétivore est porteur de croissance ? Non. A cela il y a au moins trois raisons :

La thérapie keynésienne est inopérante en Tunisie. La LFC est inspirée par ce que tout Tunisien croit avoir compris de Keynes. Or, les conditions de réalisation de la thérapie keynésienne sont en fait inopérantes en Tunisie. La récession (en fait, une dépression) dans laquelle se débat l’économie tunisienne a pour origine une agitation sociale sur fond d’insécurité et de défaillance de l’ordre public. Dans ce contexte, une injection massive d’argent public ne peut aboutir qu’à raviver encore davantage la flamme de l’inflation, raréfier les ressources financières pour le secteur privé et aggraver dangereusement le déficit du pays vis-à-vis de l’étranger. Au lieu de relancer un appareil de production sous-utilisé pour manque de demande comme le préconise la pensée keynésienne, la relance budgétaire va stimuler une consommation intérieure soutenue qui puise déjà dans l’épargne (le taux d’épargne est passé de 21,6% en 2010 à 16,6% en 2011) ; une demande de consommation qui ne peut être satisfaite, en Tunisie, que par les importations et donc, le déficit extérieur.


La crise de l’économie tunisienne n’est pas uniquement conjoncturelle ; elle est aussi structurelle. Nous avons à maintes reprises, souligné que le reflux de la croissance tunisienne a commencé bien des années avant la révolution de 2011. La crise mondiale qui a éclaté en 2007 a servi de révélateur aux faiblesses structurelles de notre économie et aux limites de son modèle de développement. Cela est patent aussi bien pour le secteur touristique, l’industrie, le développement des infrastructures routières au détriment des transports collectifs et du chemin de fer, l’enseignement supérieur, la recherche, la banque & la finance, etc. En clair, toute politique de relance sérieuse devrait s’occuper en priorité à doter le pays d’une « stratégie de croissance » et à inscrire sa « stratégie de relance » dans le cadre de cette vision à long terme de l’avenir du pays.

Une politique de relance n’est pas une politique de croissance. Ce constat ne plaide nullement en défaveur d’une politique de relance. Toutefois, la vraie relance pour la Tunisie devrait éviter les voies de la facilité –la relance budgétaire et le stimulus monétaire à fortes doses – et s’atteler en priorité aux « mesures » susceptibles de dégripper la machine, d’introduire de la visibilité quant à l’avenir du pays et de rétablir la confiance des investisseurs. En bref, des réformes urgentes qui viseraient à clarifier les règles du jeu régissant les rapports de l’Etat à l’économie, l’Administration à l’entreprise, le Politique et la justice, l’argent et la politique, l’Etat et l’information (dont l’information économique). La dépense publique n’est qu’une composante parmi d’autres qui doit être instrumentalisée pour préparer l’avenir du pays et agir sur son destin ; un instrument orienté en priorité vers l’école, la formation des travailleurs et des chômeurs, les infrastructures d’avenir de nature à désenclaver les régions défavorisées du Centre et du Sud, le renforcement du capital des banques, les grands projets structurants l’avenir industriel du pays, etc. La vraie relance pour la Tunisie réside dans une politique de croissance digne de ce nom.


(1) Durant une période de conjoncture économique mauvaise, notamment de récession économique, l'État peut mener une politique de relance, qui passe par une politique budgétaire expansionniste, c'est-à-dire l'augmentation de ses dépenses (Go and stop). À l'inverse, lorsque la conjoncture économique est bonne, l'État peut alors mener une politique budgétaire plus restrictive, c'est-à-dire baisser ses dépenses, et « engranger » des rentrées fiscales (ou plutôt réduire la dette publique), qui lui permettront de relancer l'économie, si la conjoncture se détériore (Stop and go). Il s'agit in fine d'une politique contracyclique qui sert en quelque sorte d'amortisseur pour l'économie du pays.


(2) l'Etat le plus endetté en Europe est l'Italie. Sa dette colossale atteint 106,8% du PIB. Cela signifie que l'Italie doit à ses prêteurs l'équivalent d'une année de production (PIB). Cette situation a été engendrée par le cumul de déficits budgétaires liés à des dérapages au niveau de la dépense publique (gaspillage, sur-dimensionnement, corruption etc....)


Docteur Hachmi Alaya













Les annotations et les illustrations sont l’œuvre de l’équipe de TERRA  NOVA TUNISIE