Peut-on payer la dette publique en imprimant de la monnaie ?


                                                                Par ALEXANDRE DELAIGUE chroniqueur économique
 
l'économiste Alexandre Delaigue pose une question économique qui fâche politiquement.

Si les commentateurs ont étudié certains points principaux du programme économique de Marine Le Pen - taxes sur les importations, sortie de l'euro et dévaluation du franc, immigration, dépenses, en particulier - le point principal de sa stratégie de désendettement n'a que peu été abordé. Il s'agit de sa volonté d'abroger la «loi Pompidou-Giscard de 1973» qui, avec l'indépendance de la banque centrale de 1993, «oblige l'Etat à se financer auprès des marchés financiers internationaux, en interdisant au trésor d'emprunter directement à la banque de France à un taux d'intérêt presque nul». Cela serait la principale cause de l'endettement public depuis les années 70.

Marine Le Pen n'est pas seule à stigmatiser la «loi de 73»; Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon la critiquent également. Ils veulent revenir sur l'interdiction pour la banque centrale de refinancer directement les dettes publiques. Mais elle est pour l'instant la seule à détailler un programme de désendettement public fondé sur la monétisation de la dette.

Marine Le Pen  propose en effet que chaque année, après retour au franc, la banque centrale monétise 100 milliards d'euros de dette publique, c'est à dire, la rachète en créant de la monnaie, et l'annule. Elle explique que cela n'aurait aucune conséquence négative: la masse monétaire a augmenté considérablement depuis 2002 sans que cela n'accroisse l'inflation. Et d'inviter les «experts patentés du système à démontrer scientifiquement que ce procédé de désendettement n'est pas viable».


Le spectre de l'hyperinflation

La réponse de l'expert patenté du système pourrait être la suivante. Premièrement, les critiques adressées à la «loi de 73 Pompidou-Giscard» n'ont aucun sens. La dette publique française a atteint des niveaux bien plus importants que le niveau actuel avant 1973 (plus de 100% du PIB en 1900, par exemple) et la dette publique a augmenté dans de nombreux autres pays depuis les années 70.

Si un amendement à cette loi interdit effectivement à la Banque de France de racheter directement la dette publique lors de ses émissions, cela n'interdit pas à la banque centrale de prêter à l'Etat : il lui suffit pour cela de racheter sur le marché secondaire des titres de la dette publique, ce que fait d'ailleurs massivement la Banque centrale européenne (BCE) et toutes les banques centrales du monde. Si demain la BCE veut racheter toutes les dettes souveraines de la zone euro en créant de la monnaie, rien ne lui interdit de le faire. Pourquoi ne pas le faire, alors? C'est que lorsque la banque centrale émet tant de monnaie, celle-ci reste rarement immobile dans les coffres des banques. Elle donne lieu à des crédits, la création monétaire s'accélère, cela cause de l'inflation. Lorsque les gens anticipent de l'inflation, ils cherchent à se débarrasser de la monnaie qu'ils détiennent plus rapidement, ce qui élève encore les prix, obligeant le gouvernement, pour payer ses dépenses, à recourir à de plus en plus d'émission monétaire. Tous les pays ayant recours sur le long terme à la monétisation de la dette ont connu ce genre d'épisode d'hyperinflation: Argentine, Turquie, Brésil, Bolivie, Israël, Chili, par exemple.

Si récemment la hausse de la base monétaire (la monnaie créée par la BCE) n'a pas provoqué d'inflation, c'est que le contexte est très particulier : une crise majeure du système bancaire européen, qui conduit les banques à restreindre considérablement les crédits accordés. Dans ce contexte effectivement, une émission monétaire accrue a des conséquences limitées. Mais dans des conditions normales, un gouvernement qui recourt à la monétisation pour financer sa dette publique détruit très rapidement sa monnaie. L'équation budgétaire devient très simple si l'on imagine que l'on peut disposer sans conséquences de l'équivalent de 100 milliards d'euros par an. Mais c'est trop beau pour être vrai.