jeudi 22 janvier 2015

A qui profite le «crash» pétrolier en cours ?


La baisse du prix du pétrole, une descente aux enfers pour les uns et une aubaine  pour les autres, est le sujet économique central des derniers mois dans le monde.


Sommes-nous en train d'assister à une situation similaire à celle vécue durant la période 1980-1986 (Contre-choc pétrolier, par opposition aux chocs pétroliers des années 1973-Guerre du Kippour ou de 6 Octobre et 1979 révolution iranienne) où le prix du pétrole a atteint un minimum historique de 10$ (1986).
 
Pour vous éclairer sur cette question, nous avons sélectionné pour vous un article " Guerre du prix du pétrole et «Révolution du schiste» : A qui profite le "crash" pétrolier en cours ?" paru sur le site www.webmanagercenter.com. L'auteur, Ali GAAYA, expert en exploration et production pétrolière, y revient sur les raisons de ce "crash" et sur les enjeux qui y sont sous-jacents. Pour des raisons pédagogiques, certains passages ont été réaménagés ou écourtés et des annotations ont été apportés par l'équipe de Terra Nova Tunisie. Ce Monde ne finit pas de nous étonner...Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises !
Bonne lecture  
TERRA NOVA TUNISIE

Depuis juillet 2014, le prix du baril de pétrole n’a cessé de baisser de façon vertigineuse, au point de ne plus parler de ‘chute’, mais plutôt de «crash pétrolier»! En effet, le prix du Brent, qui cotait entre 100 $/baril et 120 $/b durant 2013 et jusqu’en juin 2014, a depuis brisé toutes les barres symboliques des 80 $/b, puis 70 $/b, pour atteindre à peine 66,8 $/b le 10 décembre (63.82 $/b pour le WTI Américain).

Ceci constitue une baisse substantielle d’environ 40% en moins de 6 mois, et le prix du baril a atteint son plus bas niveau depuis 2010 !

Le 15 Janvier 2015, le prix du pétrole Brent(*) était de 47.67 $ alors que celui du WTI(**) était de 46.25$. Jusqu'où ira la témérité de cette baisse et quelles sont ses limites objectives. Mais avant de répondre à cette question, essayons de comprendre de ce qu'on appelle désormais, le deuxième crash pétrolier !  [NDLR]

(*) Brent est le nom d'un gisement pétrolier découvert en 1971 en mer du Nord au large d'Aberdeen (Écosse), dont l'exploitation a commencé en 1976. Le terme « brent » caractérise aujourd'hui un pétrole assez léger, issu d'un mélange de la production de 19 champs de pétrole situés en mer du Nord. Brent est un acronyme pour Broom (nom de la formation d'Oseberg du côté britannique de la mer du Nord), Rannock, Etive, Ness et Tarbert, principales formations pétrolifères en Mer du Nord.
Malgré une production limitée, le brent (avec le Forties, l'Oseberg et l'Ekofisk) sert de brut de référence au niveau mondial. Son prix détermine celui de 60 % des pétroles extraits dans le monde. [NDLR]

(**)Le West Texas Intermediate (WTI), également connu sous le nom de Texas Light Sweet, est un type de pétrole brut utilisé comme standard dans la fixation du prix du brut et comme matière première pour les contrats à terme sur le pétrole auprès du New York Mercantile Exchange (bourse des matières premières).Ce pétrole est souvent cité dans les rapports émis par les agences de presse en Amérique du Nord comme référence de prix, tout comme son homologue européen le Brent brut de la Mer du Nord. D'autres marqueurs importants de pétrole incluent le brut de Dubai et le panier de référence de l'OPEP.

Plus léger que le Brent, donc plus facile à raffiner, le prix du baril de WTI était traditionnellement 1 dollar plus élevé environ que celui du baril de Brent et 2 dollars au-dessus du panier de l'OPEP. Cette règle générale tend à disparaître. Le prix du baril de WTI est passé sous celui du baril de Brent : une fois entre mai et novembre 2008, avec un écart de prix de l'ordre de 3 à 4 dollars ; une seconde fois à partir du tout début de l'année 2011, où l'écart de prix n'a cessé d'augmenter progressivement, pour atteindre 10 dollars d'écart en avril 2011, puis 20 dollars d'écart en août 2011. Au 5 septembre 2011, cet écart atteignait 26,80 dollars (WTI à 83,60 dollars le baril contre 110 dollars pour le Brent). Cet écart grandissant s'explique par les surplus de pétrole dans l'ouest nord-américain. Aucune infrastructure ne permet le transport du pétrole canadien vers l'est du Canada (Ontario et Québec) ou vers le sud des États-Unis (Texas) ce qui limite la demande pendant que l'offre est en croissance. Le projet de Keystone XL et du pipeline transcanadien permettraient de rééquilibrer le prix.[NDLR]
 
 
 

    A-1- Raisons apparentes du crash pétrolier

Deux raisons principales sont mises en avant. D’abord, la «loi du marché». En effet, d’un côté, la stagnation des économies européenne et japonaise dont la croissance ne dépasse guère les 2%, combinée avec la croissance modérée de la Chine et de l’Inde (7 à 8%), qui a eu pour effet une baisse sensible de leur demande en pétrole. De l’autre côté, une offre constante, voire en légère hausse des pays de l’OPEP, autour de 30,6 millions de barils par jour (Mb/j), aggravée par un apport substantiel d’autres pays; le total de l’offre avoisinant les 94,2 Mb/j, résultant en un surplus important de 1,8 Mb/j!

La 2ème raison évoquée tient aux sanctions que les USA et la Communauté européenne, en connivence avec l’Arabie Saoudite, imposent ou veulent imposer à la Russie et à l’Iran, dont les économies sont fortement dépendantes des exportations de pétrole (et de gaz). Cette chute du prix du baril a commencé à «faire des dégâts» non seulement aux pays visés, mais aussi au reste des pays du Cartel, en particulier le Venezuela ou le Nigeria qui auront du mal à clôturer leur budget 2014. D’ailleurs, les représentants de ces pays ainsi que celui d’Iran ont tout fait, lors de la dernière réunion de l’Opep à Vienne, le 27 novembre, pour amener les membres du Cartel, en particulier l’Arabie Saoudite, à diminuer leur quota, mais sans résultat. Ceci a d’ailleurs précipité davantage le prix du baril dans sa chute!


[NDLR] Pour aller encore plus loin concernant les enjeux géopolitiques http://www.slate.fr/story/93261/baisse-petrole-pacte-etats-unis-arabie-saoudite

    A-2- Les vraies Raisons du crash pétrolier

Les raisons évoquées plus haut ont incontestablement contribué à la baisse du prix du baril. Mais cette baisse aurait pu être rectifiée, si les membres de l’Opep, et à leur tête, l’Arabie Saoudite, avaient consenti une diminution de leur Production, comme ils l’ont fait auparavant. En fait cette fois-ci, l’enjeu est très différent, et la vraie raison est autre: il fallait «à tout prix» tuer dans l’œuf la «Révolution du schiste» qui a pris naissance aux USA et au Canada, et qui est en train de faire des émules dans bien d’autres pays tels que l’Australie, la Chine, l’Argentine, l’Algérie, etc.!
 
Certains vont même jusqu’à parler de «conspiration» contre l’Oncle Sam!

En effet, depuis leur coup d’accélérateur, en 2007, pour le développement du gaz et du pétrole de schiste, grâce aux forages horizontaux et à la fracturation hydraulique, les USA ont réussi le tour de force pour passer d’un pays net importateur de pétrole et de gaz à un pays (presque) autosuffisant, voire bientôt en position d’exportateur!

Le prix du gaz aux USA est maintenant 3 à 4 fois moins cher qu’en Europe ou au Japon, et leur déficit en pétrole, qui a atteint 4 Mb/jour en 2005-2006 est pratiquement comblé . Ceci a évidemment un impact dramatique sur la nouvelle Géopolitique mondiale en matière d’énergie, et qui est bien évidemment «malvenu» par les membres de l’Opep.
 
 
    B- A qui profite un prix bas du Pétrole ?
Un prix bas du pétrole, surtout si ceci se prolonge, profitera évidemment aux pays importateurs, et aux consommateurs de ces pays. Pour la Tunisie, la balance commerciale sera moins déficitaire, ce qui allègera aussi la Caisse de compensation, et il est fort probable que les prix des carburants, du gaz et de l’électricité n’augmenteront pas en 2015.
Néanmoins la hausse du taux de change du dollar atténuera l'impact positif  de cette baisse [NDLR]
 
Ceci aura aussi une répercussion positive sur les industries grosses consommatrices d’énergie, et plus généralement sur l’économie mondiale qui pourra repartir vers une croissance plus soutenue.

Qui sont les «perdants» alors? Ce sont en 1er lieu les pays exportateurs dont les membres de l’Opep, et en (grande?) partie l’industrie pétrolière, et particulièrement son activité amont (exploration et production).
 
Ce prix bas du baril, s’il se prolonge, ce qui semble être l’objectif de l’Opep, affectera encore plus sévèrement les «pétroliers du schiste», et il est fort probable que l’on parlera en 2015 de «crash du schiste» !
 
 
En effet, l’examen de la  montre clairement que si le prix du baril se maintient entre 60$ et 65$, bon nombre de bassins pétroliers du schiste (Shale drilling) aux USA, ne seront plus rentables, y compris de larges zones des bassins les plus prolifiques, tels que le Permian Basin, Bakken ou Eagle Ford. Leur prix de revient ou «Breakeven Price» deviendra en effet plus élevé que le prix de vente. Il est clair qu’un certain nombre parmi les 716 appareils de forage, actuellement en activité dans ces 3 bassins perdront leurs contrats. Déjà certaines sociétés pétrolières ou de services ont révisé à la baisse leurs budgets d’investissements pour 2015, et il est fort possible que les plus vulnérables d’entre elles, déjà bien endettées, risquent la faillite !
 NDLR :  les réserves mondiales de pétrole de schiste sont estimées à 350  Milliards de barils (Gb) alors que celles du pétrole conventionnel (réserves prouvées à une probabilité de 90%) s'élèvent à 1.650 Milliards de barils (Gb).

Conclusion
Mais alors, l’objectif de l’Opep, et en particulier de leur leader, l’Arabie Saoudite, de regagner leur part de marché, et de mettre un terme à cette «Révolution du schiste» serait-il atteint? Oui, peut-être à court terme, et à condition que l’Opep puisse maintenir ce prix bas du baril pour longtemps encore. Mais dès que le prix grimpera, la «machine du schiste» -qui aura trouvé le moyen de comprimer ses coûts de revient- redémarrera à nouveau, et de plus belle! L’Arabie Saoudite est probablement en train de jouer au «poker menteur», car il est bien difficile d’arrêter une révolution qui marche…! L’avenir le dira...

Entre temps, notre pays et le prochain gouvernement continueront à profiter de cette ‘aubaine’ inespérée...

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