Par Raouf Ben Rejeb
La Crimée, vous connaissez ? Peu de Tunisiens peuvent la situer sur la carte du monde. Ils sont encore moins bien nombreux ceux qui puissent imaginer qu’il y a un quelconque lien entre notre pays et cette lointaine contrée disputée actuellement par le Russie et l’Ukraine. Et pourtant !!!
La Crimée est depuis peu au centre de l’actualité internationale
brulante. L’Etat dont elle dépend, l’Ukraine, soutenue par l’Occident
les Etats unis, en tête est aux prises avec le pays de Poutine.
Démonstration de force d’un côté, détermination à user de tous les
moyens pour faire reculer l’Ours russe y compris par la menace de
sanctions économiques, de l’autre. Le monde retient son souffle, car la
situation est explosive et peut menacer la paix et la sécurité du monde.
D’une superficie de 27000 km2, la presqu’île est un véritable paradis
sur terre. Réputée pour ses vignobles et ses verges on y trouve les
lieux de villégiature de l’ancienne nomenklatura soviétique.
Notamment à
la station balnéaire de Yalta où ont été signés en 1945 les accords
historiques entre Staline, Roosevelt et Churchill divisant le monde en
Est communiste et Ouest capitaliste (Conférence de Yalta).
La population de la Crimée qui compte actuellement autour de deux
millions d’âmes n’a cessé de décroître au cours des dernières décennies
après s’être accru entre 1939 et 1959 grâce à l’afflux des Russes.
Patrie des Tatars musulmans sunnites, elle faisait partie à l’origine
de l'Empire ottoman avant d’être occupée par la Russie Tsariste puis
après la révolution bolchévique par l'URSS. Dans ce cadre, elle
constitua une république autonome, puis un oblast, c'est-à-dire une
division territoriale et administrative qui fit d'abord partie de la
Russie, avant d'être cédée, en 1954, par le chef du parti communiste de
l’URSS, Nikita Khrouchtchev, ukrainien lui-même, à l'Ukraine.
Tout au long de l’histoire, elle a perdu son identité tatare, pour
être russifiée. La population indigène, du fait des déportations
successives et des massacres est devenue minoritaire. Elle n’est
actuellement que de 12%, alors que les Russes dépassent 58% et les
Ukrainiens sont autour de 24%.
Les guerres que les Tatars ont dû subir ont provoqué une véritable épuration ethnique puisque les indigènes ont été chassés vers les Etats de l’Asie centrale ex-soviétiques, notamment l’Ouzbékistan de majorité musulmane où se trouvent les villes de Tachkent et de Boukhara.
Ce sont les tsars, puis les guerres entre les Russes et les Ottomans et enfin Staline qui ont vidé la Crimée de ses habitants autochtones.
En 1991, tout en étant de majorité russophone, la Crimée redevenue république autonome a été finalement rattachée à l’Ukraine devenue indépendante. Sa capitale est Simféropol. La ville de Sébastopol, grand port de guerre sur la mer Noire possède un statut administratif spécial au sein de l'Ukraine.
Parmi ces guerres celle qui nous intéresse et qui fait le lien entre notre pays et la Crimée date de 1853 et avait mis aux prises les Ottomans et les Russes. Un contingent de 15.000 soldats tunisiens avait pris part à cette guerre appelée dans les manuels d’histoire «la guerre de Crimée». C’est le Bey Ahmed 1er qui avait dépêché ce contingent. Des relations ambivalentes liaient le Beylik de Tunis à la Sublime Porte. D’une part, depuis l’avènement en 1705 de la dynastie Husseinite avec Hussein Ben Ali, un «Kouroughli», c'est-à-dire de père turc et de mère autochtone, en l’occurrence une Charni du Nord Ouest tunisien, la Régence de Tunis avait acquis une autonomie relative par rapport à Istanbul.
Ahmed Bey un souverain réformateur à qui on doit notamment l’abolition de l’esclavage le 26 février 1846 et l’ouverture de l’Ecole de guerre du Bardo calquée sur l’Ecole Polytechnique en France a d’une part demandé et obtenu le titre de «mouchir» (maréchal) au Sultan ottoman tout en annulant un voyage à Londres sous prétexte que la couronne anglaise voulait associer le représentant de l’Empire turc aux conversations du Bey.
Le renfort du contingent tunisien, constitué de soldats mal entraînés et disposant d'armes rudimentaires n’a pas été d’un grand secours pour la flotte turque et a été décimée.
Néanmoins grâce à l’alliance de la France et de l’Angleterre avec les Turcs, la Russie tsariste a fini par perdre la guerre (mais elle a préservé le contrôle de la Crimée (1)). Par mesure de rétorsion, Saint Petersburg, capitale des Tsars a puni les Criméens en déportant les Tatars, sa population autochtone. Ce ne fut pas la seule déportation. Staline fit de même en accusant les Tatars «d’un prétendu collaborationnisme » avec l’Allemagne nazie. Près de 200 000 Tatars ont été déportés et dispersés en Asie Centrale en mai 1944. Près de 109 000 mourront à cause de cette déportation.
La participation du contingent de l’armée beylicale à la guerre de Crimée reste l’un des faits d’armes les plus remarquables de l’armée tunisienne immortalisé par une toile montrant la parade devant Dar Bey, l’actuel Palais du gouvernement à la Kasbah de ce contingent qui rentrait de Crimée. Mhamed Bey, successeur d’Ahmed Bey, flanqué du Général Rachid commandant du contingent présidait la parade. Cette toile d’Ahmed Fékih d’après un dessin original d’Auguste Maynier se trouve au Musée militaire national au Palais de la Rose à La Manouba.
Un
village turc Tunuslar, en souvenir du contingent tunisien
En souvenir de cette participation, un village turc près de la
capitale Ankara porte le nom de Tunuslar (village de Tunisie). Perché à
1400 mètres d’altitude, en pleine forêt, c’est dans ce village que fut
enterré le Colonel Mohamed Ettounsi, un haut officier du corps
expéditionnaire tunisien. Après la guerre, certains de ces vaillants
guerriers, ne pouvant rentrer à travers les montagnes enneigées, avaient
élu domicile à cet endroit et avaient fait souche. Le village s’appelle
« Tunuslar » ou village de Tunisie, en hommage à nos vaillants soldats.
Ses habitants gardent certaines de leurs traditions tunisiennes
héritées de leurs lointains aïeux.
(Capture Carte Géographique - Tunuslar) (ajoutée par Terra Nova Tunisie)
Pour aller encore plus loin
http://www.militaryhistoryonline.com/19thcentury/articles/tunisiacrimea.aspx
(1) La Crimée a été conquise par la Russie au XVIIIe siècle sur les Tatars, vassaux de l'empire ottoman. À l'issue de la guerre russo-turque de 1768-1774 la Tauride et la Crimée devinrent russes. Le traité d'Iaşi mit fin à l'existence du khanat de Crimée. Il inaugura une politique de peuplement par des chrétiens (grands-russiens et petits-russiens — c'est-à-dire des Russes et des Ukrainiens —, mais aussi Allemands, Moldaves, Arméniens et Grecs nord-pontiques
rappelés sur leurs terres d'origine), au sein d'une nouvelle entité
territoriale qui vit aussi s'élever des villes à l'architecture et aux
noms grecs antiques (Odessa, Tyraspol, Ovidiopol, Chersonèse, Simféropol, Sébastopol, Théodosie, Mélitopol…), entité appelée Nouvelle Russie. Le pays, jusque là consacré à l'élevage extensif des Tatars, devint terre de cultures. Et dès lors, les Tatars de Crimée, bientôt minoritaires, furent persécutés, chassés vers l'Empire ottoman, déportés vers la Russie centrale ou la Sibérie, ou aussi massacrés lors des révoltes.
La Russie impériale chargea les Cosaques de « pacifier » et d'assimiler définitivement les Tatars. La Crimée fut alors intégrée dans le gouvernement de Tauride.
Des nouvelles villes slaves furent édifiées, ainsi que des voies
ferrées construites et des marais assainis. La péninsule de Crimée
devint la villégiature des rois à partir de 1850, lorsque les familles princières de Saint-Pétersbourg firent construire leurs résidences d'été près des villages côtiers qui jouxtent Yalta Foros, Aloupica, Livadia, Massandra…
Ces pittoresques stations balnéaires ont conservé palais et datchas de
l'époque. La Crimée devint une importante tête de pont pour la marine
marchande russe, vers les mers chaudes.
En 1853, l'empire Ottoman en plein déclin décida, avec le soutien de
la Grande-Bretagne et de la France, de mettre un coup d'arrêt à
l'expansion économique russe. Les alliés de circonstances attaquèrent la
péninsule. Le conflit de 1854–1856 fut extrêmement meurtrier : 750 000 hommes
périssent en trois ans. La Crimée resta sous le contrôle de la Russie,
malgré un siège de Sébastopol qui se solda par une défaite russe. Cette
guerre ruina durablement l'économie et les structures sociales de la
Crimée. (Source Wikipedia.fr)
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