vendredi 1 avril 2011

La refonte du système éducatif- une garantie pour réussir la révolution dans les esprits


Repenser notre système éducatif






Le projet du renouveau du citoyen tunisien passe inéluctablement par une refonte de notre système éducatif. En effet, le message porté par la révolution du 14 janvier doit être perpétué et pérennisé et surtout une veille spirituelle et intellectuelle doit dorénavant exister pour protéger les acquis et éviter que des dérives autocratiques ne soient régénérées dans (et par) notre société.

Certes, la refonte du système éducatif est une tâche ardue et de longue haleine que l’équipe dirigeante, qui sera pourvue d’une légitimité électorale, devra considérer comme prioritaire. Des moyens conséquents doivent être déployés et une réflexion approfondie doit être effectuée. L’enjeu est stratégique et la démarche est déterminante.

Néanmoins, les spécialistes du domaine, les intellectuels mais aussi les citoyens peuvent esquisser, dès aujourd’hui, les orientations de notre système éducatif. Cette modeste contribution vise à établir quelques constats et à proposer quelques nouvelles orientations.



Constats inquiétants et confusion dans la vision


Le souci majeur de l’écrasante majorité des Tunisiens demeure l’emploi. Le prérequis sous-jacent à cet objectif est l’employabilité. Le système éducatif, antichambre de l’université, y contribue. Mais cette exigence doit s’inscrire dans un cadre plus général et plus ambitieux qu’Albert Jacquard a défini ainsi : «L’objectif de toute éducation devrait être de projeter chacun dans l’aventure d’une vie à découvrir, à orienter, à construire». C’est un dosage subtil entre ambition, rêve et vocation individuels d’une part et intérêts, objectifs et orientations sociétales, d’autre part. En d’autres termes, c’est l’ancrage d’une citoyenneté avec des perspectives, un sens critique et un sentiment d’appartenance à la patrie. Le système éducatif tunisien est actuellement en déphasage avec cette configuration qui est garante du progrès.

Sur le plan de l’efficience de notre système éducatif, il suffit de procéder à une évaluation objective des aptitudes de nos jeunes pour se rendre compte des défaillances majeures existantes aussi bien en termes de connaissances, de structuration d’idées, de capacité d’arbitrage, de technique d’expression, voire d’orthographe. Cet état des lieux est confirmé, par le dernier classement (peu flatteur) du programme Pisa avec une 56e place pour la Tunisie sur 65 pays. La situation devient encore plus préoccupante quand on relève que le score de la Tunisie dans la sous-composante «assimilation et interprétation» est égal à celui de l’Albanie et inférieur à celui de la Jordanie.

Certes, nos jeunes nous ont surpris et émerveillés par leur engagement et leur bravoure. C’est indéniable, ils ont impressionné le monde entier. Mais, ces jeunes ne sont pas parfaits, et leur élan extraordinaire ne doit pas se confondre avec le diagnostic réel de leurs aptitudes. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, mais ce qui leur manque cruellement, c’est une référence culturelle, politique, philosophique, etc.

Ces jeunes ne jurent que par "Facebook", devenu objet de leur vénération. Ce réseau social transformé et transcendé en média alternatif puissant n’est pas une source de savoir et de connaissances. Il ne peut être considéré comme un pourvoyeur de valeurs et d’orientations. Et puis cet espace n’a pas une dimension épistémologique puisqu’il agrège une multitude infinie de données sans qu’il y ait fondamentalement une structuration constructive. Or, cette jeunesse est inconsciemment en quête de repères et de références qui lui sont nécessaires. C’est pourquoi elle ne doit pas confondre entre rupture avec la culture de l’omnipotence d’une caste politico-mafieuse et continuité avec l’héritage millénaire de la Tunisie.



Sciences humaines et système éducatif : pour une métamorphose salvatrice

L’école de demain devra mettre au premier plan les hommes et les femmes qui ont illuminé l’histoire de notre pays, expliquer leurs parcours et leurs moments de vérité. Et cette approche doit s’inscrire dans une continuité d’une année à une autre, favorisant ainsi l’assimilation, car on ne retient véritablement que ce qui s’intègre dans l’ensemble de ses connaissances.

Le maître de la sociologie Ibn Khaldoun, le grand stratège militaire Hannibal, le génie de la poésie arabe moderne Echebbi, le penseur avant-gardiste Tahar Haddad, et j’en oublie, ont eu une contribution immuable au patrimoine de l’humanité. Les observateurs avisés ont longuement disserté sur les multiples dimensions de la Tunisie : arabo-musulmane, méditerranéenne, etc. mais ils ont oublié par déni de grandeur la dimension universelle de ce pays de 3.000 ans d’histoire.

Et cette dimension doit être mise en valeur, dans ses multiples perspectives, au niveau des programmes d’enseignement primaire et secondaire, en cessant définitivement de «débiter» des données suivant une approche insipide où les réalisations, les conquêtes et les prouesses sont minimisées, voire occultées volontairement. Les Tunisiens de demain doivent être imbus de cette histoire pour pouvoir construire leur avenir avec assurance, constance et imagination. Aussi, des figures plus contemporaines, philosophes, écrivains, poètes ont leur place dans cette reconfiguration du système éducatif.

Au-delà de nos références, les courants de pensée qui ont changé la face du monde et qui ont influencé les trajectoires de l’humanité doivent être présentés dans les programmes d’enseignement sans arrière-pensées et sans dogmatisme. Cette orientation permettra d’enclencher un processus de réflexion chez les élèves et d’éveiller leur sens critique tout en veillant à instaurer des traditions de débat autour des questions fondamentales en rapport avec l’existence et le devenir de l’humanité. La philosophie est le berceau idéal pour la maturation et la transcendance de l’intellect de nos jeunes, c’est pourquoi un saut qualitatif du contenu et de l’approche d’enseignement y afférents doit être visé.

Il s’agira en fin de compte de réhabiliter l’enseignement des sciences humaines en entamant la réflexion sur un projet d’enseignement cohérent et qui évolue en fonction du cursus de l’enseignement primaire et secondaire. Une telle vision aboutira, de facto, à une transformation des études universitaires en sciences humaines en des filières d’excellence axées sur l’exploration, la recherche et l’analyse, voire l’anticipation des phénomènes sociaux.



Changer d’approches, changer de méthodes

Plus généralement, et au-delà de la question du contenu des programmes, la méthodologie de l’enseignement doit fondamentalement être révisée. Désormais, il faudra expliquer le pourquoi des concepts et leur phénoménologie, s’attaquer aux confusions nuisibles et chroniques qui existent chez les élèves, comme par exemple celle qui consiste à ne pas distinguer clairement entre la cause et la manifestation d’un phénomène.

L’utilité de l’enseignement doit être considérée comme un concept relatif en fonction du contexte et de l’objectif assigné. En d’autres termes, l’idée largement répandue de l’existence de matières (enseignées) inutiles ou sans intérêt doit être contrecarrée en renforçant notamment leur pondération au niveau de la contribution finale dans les moyennes obtenues.

Le support et la démarche de transmission du savoir doivent être réexaminés. La technologie, l’analyse décalée, la discussion et la marge de manœuvre octroyées aux enseignants sont autant d’éléments susceptibles de faire éclore des idées innovantes et qui répondraient aux attentes de nos enfants et adolescents.

Néanmoins, aurions-nous les moyens de ces ambitions ? Au au-delà de l’essor économique que connaîtrait la Tunisie, il est important d’être en mesure de saisir les opportunités qui s’offriraient en matière de coopération internationale aussi bien en termes de financement que d’accompagnement. Aussi, devons-nous étudier d’une manière approfondie les systèmes éducatifs performants à l’échelle internationale pour identifier les facteurs clés de succès à garantir pour mener à bon port notre réforme.

Par rapport à cet ensemble de propositions, à quoi serions-nous en droit de nous attendre d’un ministère qui agit dans un cadre provisoire et transitoire ? Certes les priorités de ces mois sont ailleurs, mais il peut d’ores et déjà commencer à organiser «l’écoute des Tunisiens» en ce qui concerne le projet éducatif de demain. D’ailleurs, le ministre de l’Education a été bien intentionné en enclenchant ce processus d’écoute, mais il était toutefois mal inspiré dans la concrétisation car la démarche n’était pas appropriée et a été plutôt une source de polémique et de tension entre enseignants et élèves. Il serait plus judicieux de s’y prendre autrement en favorisant une démarche de concertation nationale plus efficace et moins médiatisée. Un blog ou un site web que le ministère mettra en ligne permettra (durant cette étape transitoire et provisoire) de recueillir les avis des uns et des autres. Cette démarche pourrait même être accompagnée par un questionnaire favorisant la construction et la proposition pour éviter les écueils de la spontanéité irréfléchie et de la démagogie régressive.

Les Tunisiens aspirent aujourd’hui et plus que jamais à un système éducatif plus moderne, plus créatif et compatible avec les objectifs de la révolution du 14 janvier qui a été aussi un cri strident contre la médiocrité et l’aliénation.

C’est en fin de compte un nouveau cap qui sera décisif pour dessiner les grands traits du nouveau Tunisien dans son passage du statut de sujet à celui de citoyen. Cette réflexion d’un enseignant et chercheur français illustre parfaitement la teneur de ce rôle : «C’est en devenant le lieu d’une parole libre et organisée que l’école peut jouer son rôle en matière d’éducation civique, c'est-à-dire associer l’efficacité — ce qui n’est pas discuté n’est pas intériorisé — et l’absence de dogmatisme — ce qui est discuté ne prend pas valeur de dogme, mais de problème indéfiniment rectifié».

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