vendredi 17 août 2012

Les quatre raisons du choix du régime parlementaire par Ennahdha


Les quatre raisons du choix du régime parlementaire par Ennahdha


















Par Hatem M’RAD(*)

Tout le monde sait qu’Ennahdha a opté pour le régime parlementaire dans le programme politique qu’elle a défendu lors de la campagne électorale pour l’élection de l’Assemblée constituante. Un régime qu’elle défend encore aujourd’hui avec plus d’insistance. Au départ, Ennahdha n’a pas montré beaucoup de résolution dans le choix du régime parlementaire. Ses dirigeants laissaient apparaître un certain flottement. Ils disaient dans leurs déclarations respectives que le régime parlementaire a leur préférence, mais cette option n’est pas sacrée. Ils sont prêts à toutes sortes de compromis pour sauver le consensus entre toutes les parties.

Mais, chemin faisant, ils y ont pris goût. L’exercice du pouvoir dans un régime de transition, qui a les apparences d’un régime parlementaire, leur a montré qu’ils ont beaucoup à gagner dans le choix d’un régime parlementaire. Il semble que quatre raisons peuvent les conforter dans un tel choix.

1)- D’abord, la raison principale, qui a leur a été confirmée durant l’exercice du pouvoir, c’est que ce régime peut conduire, dans l’esprit d’Ennahdha, à la concentration du pouvoir entre les mains du parti vainqueur aux élections, c’est-à-dire au cumul du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Puisque, dans un régime parlementaire, le gouvernement est issu du parti majoritaire aux élections législatives, qui a le droit de constituer le gouvernement, avec ou sans d’autres partis alliés, moins représentatifs que lui électoralement. Ainsi, gouvernement et Parlement sont entre les mains d’un même parti, comme c’est le cas aujourd’hui pour l’Assemblée constituante et le gouvernement de transition. On appelle cela en science politique «le fait majoritaire».

Mieux encore, à travers ce fait majoritaire, ces deux pouvoirs politiques majeurs risquent encore d’engloutir d’autres autorités moins politiques, comme le judiciaire, l’administration ou les collectivités locales.

Le pouvoir judiciaire, dans un pays qui manque encore de culture démocratique, peut-il résister à une telle concentration de pouvoir politique et à la pression d’un parti assoiffé d’hégémonie ?

 Seules la presse, l’opinion et la société civile  constitueront dans ce cas des freins possibles. Mais une société civile, aussi pressante et forte qu’elle puisse paraître, ne peut rester durablement non encadrée, et ne peut remplir à elle seule le rôle des partis politiques ou de contre-pouvoirs. Qui plus est, une société civile s’épuise vite. Elle n’a pas l’endurance des partis.

2)- La deuxième raison du choix du régime parlementaire par Ennahdha, est que le régime semi-présidentiel voulu par la majorité des partis de l’opposition (peut-être moins par conviction qu’en réaction au choix du régime parlementaire par Ennahdha) permet, au vu des sondages d’opinion successifs, de favoriser les leaders de l’opposition dans les élections présidentielles. Moncef Marzouki est toujours la personne qui inspire le plus de confiance aux Tunisiens d’après ces sondages, talonné aujourd’hui par Béji Caïd Essebsi, candidat de Nida Tounés, qui pourra monter encore plus dans les sondages et dans les cœurs des Tunisiens déçus par les islamistes et la Troïka. Le populisme de Marzouki, tant lors de la campagne électorale que dans l’exercice du pouvoir, n’est pas étranger à sa popularité. Sa désinvolture et son profil modeste vont dans ce sens. Peut-on lui en vouloir lorsqu’on sait qu’Ennahdha gouverne par le populisme de la charité, des offrandes et par le «populisme» divin ou des prêches dans les mosquées ?

3)- La troisième raison, c’est qu’Ennahdha n’a pas de leader présidentiable. Ghannouchi est plus à l’aise dans son rôle de mollah politique ou de calife partisan. Il donne beaucoup plus l’image d’un guide spirituel, même s’il est redoutablement futé en politique, que d’un guide politique. Il n’est pas non plus populaire auprès des non islamistes, comme c’est le cas pour Mourou ou même pour Dilou. Par ailleurs, tant que Ghannouchi tient les rênes du pouvoir du parti, l’actuel chef de gouvernement, Hamadi Jebali ne peut s’affirmer pleinement sur le plan politique. Il en va de même pour cheikh Mourou, éternellement en conflit avec Ghannouchi, et qui, pourtant, est actuellement au faîte de sa maturité. Ghannouchi craint peut-être de perdre son autorité si une  personne autre que lui se porte candidat d’Ennahdha aux présidentielles. Ce candidat risque de récupérer tous les pouvoirs réels du parti, y compris les siens. Enfin, Samir Dilou, très à l’aise dans ses fonctions, reste un projet de candidat présidentiable ou de leader du parti. Il sait rassurer et convaincre. Pour le moment, il doit patienter encore face à ses aînés.

4)- La quatrième raison, c’est qu’Ennahdha peut dans un régime parlementaire rester influente tant dans la perspective de la majorité que dans la perspective où elle est minoritaire. Le régime parlementaire est un régime de collaboration souple des pouvoirs, il donne des moyens de pression mutuels à l’exécutif et au législatif. Le législatif peut voter une motion de censure contre le gouvernement et le gouvernement peut dissoudre le Parlement. Les deux pouvoirs doivent chercher toujours un terrain d’entente pour éviter les grands décalages. Dans ce cas, ce régime permet à Ennahdha, dans tous les cas de figure, de garder une certaine influence dans le jeu politique en tant que grand parti représentant le tiers des votants, même dans la perspective où il est renvoyé dans l’opposition.

Mais, attention, le risque du choix du régime parlementaire par Ennahdha, c’est que l’opposition peut aussi en profiter, si jamais l’union des forces de l’opposition se confirme, comme c’est le cas actuellement autour de Nida Tounés, qui semble progresser dans une première étape à travers les adhésions. De toutes les manières, même le régime semi-présidentiel reste profitable pour Ennahdha, puisqu’il permet de faire coexister deux majorités, une présidentielle et une autre législative, au cas où le peuple vote différemment aux législatives et à la présidentielle et au cas où les deux élections sont espacées de plusieurs mois, permettant aux électeurs de sanctionner dans la deuxième élection la majorité de la première dans l’éventualité d’une déception rapide. Et ce n’est pas une hypothèse d’école, comme le prouve le cas français avec les cohabitations qui ont eu lieu entre la gauche et la droite dans les deux sens, qui ont permis à deux partis ou aux deux alliances de gauche et de droite de partager le pouvoir. Après tout, Ennahdha ne partage-t-elle pas déjà le pouvoir avec ses alliés ? Ennahdha veut plutôt partager tous les pouvoirs, Parlement et gouvernement et autres dérivés, avec ses seuls alliés et non avec l’opposition. On verra. Ne dit-on pas chez nous «illi yahsib wahdou youfdhoullou». Cela reste vrai surtout dans les calculs  électoraux. D’un côté, les sondages ne disent pas tout, on l’a vu, d’autre part, le vote des électeurs tunisiens n’est pas encore constant, faute de tradition électorale démocratique et de clarté du jeu politique. Peut-être que des grands changements se profilent à l’horizon au cas où  l’opposition parvient vraiment à faire bloc. Ennahdha a fait le plein, tous les islamistes convaincus et sympathisants, qui se sont inscrits les premiers, ont voté pour Ennahdha. Mais l’opposition est loin d’avoir fait le plein, si on comptabilise les 1.300.000 voix perdues dans la nature et les 3.500 000 non inscrits, outre les déçus des islamistes et de la Troïka. La partie est loin d’être jouée pour Ennahdha. Un peu de modestie lui fera du bien. Les choses sérieuses commencent maintenant.

*(Professeur de science politique)





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