lundi 9 février 2015

Économie et transition démocratique en Tunisie : Ce qui (ne) va (pas) changer


A. Wahabi ne se targue pas d'être un économiste; mais il est expert comptable, donc il sait faire les comptes et ceux de notre mère patrie ne sont pas bons !  Il procède dans ce papier à une analyse limpide et sans concessions des chiffres de notre économie et le constat est sans équivoques : une dégradation continue qui n'a pas l'air de s'estomper. C'est l'analyse aussi d'un citoyen, qui exprime son désarroi devant l'inaction et l'absence de vision. Nous ne le redirons jamais assez à Terra Nova Tunisie, la Tunisie a connu une révolution orpheline, qui n'est pas porteuse d'une vision, d'un projet transverse à tous les domaines de notre vie....  

Ceci étant, nous demeurons convaincus à Terra Nova Tunisie que la dynamique de l'histoire finira par triompher et que cette nation, dont la profondeur et la richesse de sa civilisation constituent une force éternelle, finira un jour par dépasser ses contradictions et son immobilisme pour voler haut, très haut, après s'être libérée du joug de la dictature. 

Bonne lecture


 
• Le dinar perd 40% de sa valeur en 4 ans… 
 
• Le pouvoir d'achat continuera à s'amincir, alors que les nouveaux riches, ceux qui profitent de la crise et ceux qui préservent d'anciens privilèges, vont voir leur fortunes s'amasser sensiblement
 
• L’'inflation va continuer à ronger l'économie et ne baissera pas au-dessous du seuil de 5%. 
 
• La pression fiscale qui avoisine les 23% ne baissera pas.

Quatre ans après le "printemps", la Tunisie a réussi à se distinguer de tous les "suiveurs" et a pu réaliser des avancées inéluctables dans ce que les institutions internationales nous ont appris à appeler "la transition démocratique".

La Tunisie s'est dotée d'une constitution de "concorde national", annonçant l'avènement de la "deuxième république". Deux élections en trois tours ont été organisées dans le calme, une assemblée des représentants du peuple est installée au Bardo, un Président est investi à Carthage et un Chef de gouvernement sélectionne son équipe en utilisant une stratégie de "prêcher le faux pour avoir le vrai".

Entre temps, le peuple tunisien se la coule douce. 

Trois mois après avoir bleui l’index gauche pour la troisième fois consécutive, le peuple entend récolter les fruits de sa patience. Après le départ de Ben Ali par je ne sais quel miracle, on a réussi, par je ne sais quel autre miracle, à le convaincre que le salut réside dans la rédaction d'une nouvelle constitution, mais alors là, une "vraie" constitution, rédigée à partir d'une feuille blanche. 
Croyant vivement aux vertus attendues de la nouvelle constitution, qui va apporter progrès, prospérité, richesse et emploi pour tous, le peuple tunisien a arrêté de travailler. 11 millions d' "aspirants à la citoyenneté" se sont convertis en "juristes constitutionnalistes".

Croyant au "miracle tunisien" qui est, d'ailleurs, une invention de "l'ère nouvelle de Ben Ali", le peuple tunisien a espéré intéressement décrocher la coupe d'Afrique de football et la coupe du monde du Qatar, avec deux équipes médiocres et sans aucune stratégie sportive.

Croyant au miracle, on cesse de travailler, on bloque la CPG, on fait des grèves sauvages pour une prime "d'improductivité", surcharge l'administration du double de sa capacité d'emploi et on attend le décollage économique avec impatience. 

Dans le pays des miracles, aucune action sérieuse d'amélioration du secteur touristique n'a été entreprise depuis des années, la situation des hôtels se dégrade avec un rythme soutenu, le niveau du service n'a jamais été aussi bas, les attractions touristiques ne sont pas mises en valeur, mais on se demande pourquoi on vend la nuitée d'hôtel à un prix aussi bas et pourquoi on perd notre place dans les marchés allemand et français.

Dans le pays des merveilles, le dinar perd 40% de sa valeur en 4 ans, mais on continue à importer tout produit. Tant pis que la balance commerciale enregistre 13 milliard de dinars de déficit, "Sidi Mehrez" est là pour tout régler. 

Ce déficit, ainsi que la dette nationale qui a sauté de 42% à 53% du PIB en 4 ans, sera certainement réglée, soit par les générations futures à travers des rééchelonnements maquillés, ou par la Qatar et l'EAU qui seront poussés par la solidarités arabe à acquérir tout ce qui a de la valeur. A ce rythme, il serait probable que les mosaïques de la musée de Bardo soient exposées à Dubaï et que le Panthéon de Sbeitla soit livré à Douha. Probable aussi que nous louons une partie du désert où nous délivrons des permis d'exploration du gaz de schiste au premier prétendant.
Oui, le pire cauchemar peut s'avérer une douce réalité dans un pays où on s'endette à raison de 7 milliards de dinars pour investir 4 milliards seulement, le reste couvrira les dépenses courantes, pour ne pas dire pour honorer les intérêts des anciennes dettes. Chuuut, il ne faut pas révéler ces secrets d'Etat pendant que notre économiste en chef ministre des finances négocie avec Fitch la possibilité de garder la note "BB-", en ramenant avec lui l'économiste chevronné et gouverneur de la banque centrale pour essayer de faire tomber la mention "perspective négative".
Oui il y a "perspective négative" quand l'héritier de Hedi Nouira se réjouit d'un crédit contracté en dollars et au taux de 5,75%, soit plus que le double du taux de croissance du pays et le double du plus haut taux contracté les 10 dernières années.

Il y a perspective négative quand les circuits de privilège et de favoritisme économique continuent à fonctionner, plus efficacement qu'au temps des Trabelsi. Quand les mécanismes de conciliation et de vérité se transforment en mécanismes d'opportunisme et quand les instances chargées d'intégrité et de bonne gouvernance se mettent hors circuit.
Il y a "perspective négative" quand on passe quatre mois dans le flou par rapport à la formation du gouvernement alors que les résultats des élections sont clairs.
Oui il y a perspective négative lorsque le pays continue à fonctionner sans plan et il s'avère que le parti vainqueur des élections n'a pas de stratégie face à la stratégie moyenâgeuse du deuxième parti.
Je suis pessimiste pour mon pays. Plus pessimiste que lors des 24 octobre 2011, 7 février 2012 et  26 juillet 2013. Parce qu'au delà de l'incompétence de nos politiques, c'est le peuple tunisien tout en entier qui est incapable de prendre son destin en main
Voyons alors la réalité en face: dans toutes les transitions démocratiques semblables, il a fallu au moins 10 ans pour sortir de la zone rouge. Le Portugal a été sauvé par son adhésion à'Union Européenne, la Roumanie a pris plus de temps.
Je nomme ces deux pays parce que la ressemblance du processus est étrangement identique à la récente réalité tunisienne. Il fallait donc tirer les enseignements nécessaires pour l'avenir.

Dans les années à venir, le dinar continuera à dégringoler, à cause de la faiblesse des fondamentaux de l'économie et par quête d'équilibrage de la balance commerciale.

Désolé Hamma, le prix du poivron ne va pas baisser, l'inflation va continuer à ranger l'économie et ne baissera pas au-dessous du seuil de 5%. Le prix de l'immobilier continuera à augmenter malgré l'abondance de l'offre.

La pression fiscale qui avoisine les 23% ne baissera pas. On assistera toutefois à l’instauration de nouveaux impôts tels que l'impôt sur la fortune. De nouvelles impositions toucheront les transactions immobilières et les successions.

Le pouvoir d'achat continuera à s'amincir, alors que les nouveaux riches, ceux qui profitent de la crise et ceux qui préservent d'anciens privilèges, vont voir leur fortunes s'amasser sensiblement. Il n'y aura plus de classe moyenne, ou presque. Les conflits sociaux vont s'accentuer, sans arriver à l'état de révolte, par lassitude révolutionnaire, mais avec une malheureuse augmentation du taux de criminalité, à cause de l'absence d'un dispositif sécuritaire approprié et d'un "faux" sentiment d'impunité.

Les PME tunisiennes vont souffrir de manque de financement, les grandes entreprises vont voir leurs bénéfices se réduire et les banques publiques vont continuer à afficher des pertes pour quelques années encore.

Fort probablement, une vague de privatisations va se propager pendant quelques années. Elle touchera partiellement les secteurs "vitaux" dont l'agriculture.

Ni la Suisse ni aucun autre pays, ne nous rendront un centime chipé par l'ancienne dynastie régnante et les biens confisqués qu'on n'a pas su valoriser seront dilapidés.

Last but not least, le mal essentiel qui était à l'origine de toute la tourmente, à savoir le chômage, ne sera pas résolu. Il continuera à peser sur l'économie et les légères améliorations seront apporter plutôt par l'économie informelle qui gardera sa part du lion dans l'économie.

Ce ne sont pas des prophéties, je n'ai pas la prétention d’en faire, mais seulement une application directe de la loi naturelle selon laquelle "les mêmes causes produisent les mêmes effets". Il incombe aux décideurs d'en tirer les leçons. Dans ce registre, je ne suis pas du tout optimiste mais j'espère, du fond du cœur, m’être trompé. 

Anis WAHABI
Expert Comptable



 

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