dimanche 13 novembre 2011

PDM & Processus Electoral: Constats, Enseignements et perspectives


Le verdict des urnes et le scrutin en lui-même appellent examen et analyse. Au-delà de la nature du vote, et nonobstant l’échec des listes démocratiques et modernistes, j’y reviendrai à ce sujet, les tunisiens ont livré un message que nous sommes tenus d’abord de respecter, sans mépris aucun ni procès d’intentions et ensuite, de comprendre au niveau de sa teneur et son sens. Il appartient à tout un chacun, groupe ou individu, d’en tirer les enseignements d’une manière objective, avec le recul nécessaire en pareille tournure.



Le premier constat s’impose de lui-même : La participation massive au scrutin traduit la volonté des tunisiens d’instaurer, après une longue parenthèse de dictature, une nouvelle culture, substituant la culture de participation à la culture d’obéissance. Derrière le niveau élevé du taux de participation, qui a tordu le cou à toutes les prévisions et projections, se faufile la détermination des tunisiens, toutes catégories sociales et toutes appartenances régionales confondues, de se prendre enfin en charge et d’ouvrir une page vraiment démocratique de leur histoire. Il s’agit d’un message très significatif. En fait, le 23 Octobre  n’est que le prolongement naturel du 14 Janvier.

Le deuxième constat : La communication a constitué la pierre angulaire, et également la pierre d’achoppement. En un mot, la stratégie de communication a pris le pas sur le programme socio-économique. En effet,  ce ne sont pas les programmes qui ont fait la différence, mais les campagnes électorales. C’est la perception des messages livrés qui a prévalu. Et dans toute communication, ce qui compte c’est la perception et non le message en tant que tel.

Le troisième constat : Sans vouloir trop schématiser, mais les tunisiens ont choisi, dans une large mesure, de s’aligner sur le camp conservateur et de sanctionner, en quelque sorte, le camp moderniste. Il est paradoxal de constater que ce dernier, pourtant porteur d’un bon sinon meilleur programme socio-économique, du moins sur le papier, soit passé à la trappe dans les zones rurales et les quartiers défavorisés. Ceci suggère-t-il que les attentes n’étaient point d’ordre socio-économique mais de tout autre nature que le PDM n’a pas su ou pu déceler à temps lors de la campagne électorale ?!

Le quatrième constat : La question identitaire a été au centre aussi bien de la campagne électoral que du scrutin. Y a-t-il eu un clivage ou une polarisation à ce niveau dont le PDM a pâti ?!

Sur la base de ces constats, quels commentaires, quelles critiques pourrait-on formuler à l’égard de la prestation du PDM, durant le processus électoral ?

Je scinderai mes remarques en deux parties, à savoir, le processus électoral et les enseignements/perspectives.

Au niveau du processus électoral :

1-      L’atomisation du front démocratique et moderniste a constitué un pain béni pour ses adversaires et autres détracteurs. Cette fragmentation, mue essentiellement par une course au leadership et au pouvoir et un conflit d’ego, a segmenté les voix sur diverses listes et a, par conséquent, plombé les candidats, outre la dispersion du potentiel humain et matériel. Quelque part, l’intérêt partisan a supplanté l’intérêt supérieur du pays et le projet de société tel que ledit front perçoit et entend défendre. De mon avis, il s’agit d’une bourde aussi bien tactique que stratégique. Une coalition PDM/PDP/FDLT, derrière un seul programme et un seul mot d’ordre, aurait non seulement conféré une meilleure visibilité politique, donc meilleure perception, à cette alliance, mais notamment conjugué et optimisé les efforts sur différents plans : ressources humaines, moyens financiers, brassage et déploiement sur le terrain, présence physique, porte-à-porte….Nul doute, le PDM n’a rien à se reprocher à ce sujet, il a compris à l’avance et mieux que d’autres l’impératif de mutualiser les efforts, de serrer les rangs et de ne pas opérer par ordre dispersé.

2-      S’agissant des thèmes de campagne, il y a dire et à redire, notamment sur les principaux points suivants :

  • Il est bien clair que le PDM, certes à des nuances près, a été entrainé sur un terrain très glissant et très sensible, à savoir le débat sur l’identité, un faux problème car c’est un sujet plutôt de consensus qui n’a jamais partagé les tunisiens. Et en corollaire la stigmatisation, voire la diabolisation d’Ennahdha. Il n’y a aucune chance de battre Ennahdha sur son terrain. Celle-ci a joué sur du velours, elle a une longueur d’avance, car bénéficiant déjà d’un sol fertile (la religion musulmane des tunisiens), d’espaces de mobilisation (mosquées et autres tribunes), de support médiatiques de promotion (en particulier les chaines satellitaires pro-islamiques) et de l’arme de la sacralité (Croyant/mécréant, bien/mal, hlel/hram). Agissant en refuge identitaire et garant de l’Islam, Ennahdha a joué à fond sur ce filon de telle sorte que toute attaque contre Ennahdha ait été perçue, à large échelle, comme une attaque contre l’Islam, principal ferment de l’identité tunisienne, n’en déplaise à certains. Dans la même occurrence, le fait de focaliser le débat sur l’antagonisme moderniste/réactionnaire ou rétrograde/progressiste (et là le PDP en a fait presque son principal thème de campagne) a globalement desservi le PDM car perçu comme un combat d’arrière-garde entre musulman et hérétiques. Une quête de ré-islamisation de la Tunisie et de revalorisation de son identité. Le film "Persépolis", dont le timing de diffusion n’était aucunement fortuit, a servi la partie que "Nesma" croyait vraisemblablement discréditer. Quand les nahdhaouis, et leurs bras armés salafistes, réagissaient en termes de sacralité et d’identité, cultivant l’image de gardiens, voire de dépositaires de l’identité, donc soldats de l’Islam, telle que perçue et restituée par la masse populaire, les modernistes ont pris la posture de défenseurs de la liberté d’expression alors que la campagne électorale battait son plein et que toute maladresse serait lourde de conséquences car considérée comme acte de provocation. Dans l’esprit des tunisiens, du moins une bonne partie, la laïcité équivaut à l’apostasie. Le discours sur la liberté d’expression, qui reste pertinent par ailleurs, a été contre-productif si on s’inscrit dans une démarche électorale. Les faits ont étayé cette affirmation. En politique, il n’y a pas de bonne foi ou de profession de foi, il n’y a que des intérêts. Il ne s’agit pas d’user de mauvaise foi ou de double discours mais de tactique de mobilisation, d’approche adaptée aux aspirations profondes de l’électorat et de discours prenant la pleine mesure de l’auditoire. Il est à relever qu’en faisant profil bas sur cette cruciale et non moins polémique question, le CPR et le FDLT ont mieux tiré leur épingle du jeu. Le paradoxe est pour le moins saisissant.

  • La trame de fond de la révolution, à savoir, les inégalités régionales, le chômage, la corruption, la justice transitionnelle, la poursuite des caciques de la dictature déchue et la restitution des avoirs pillés, le déraillement de la justice et de la sécurité, n’a pas été vraiment traité à sa juste mesure. Aucun matraquage, aucune visibilité. Bref, la nette rupture avec l’ancien régime, même si cela est une constante dans la réflexion et la position, n’a pas été un thème central de la campagne, et par conséquent, a été peu ou prou sinon mal perçue par le commun des électeurs. Là également la communication a fait défaut. Voilà des thèmes auxquels les tunisiens sont très sensibles et sur lesquels le PDM ne semble pas avoir communiqué suffisamment, tout au moins de manière à toucher le tunisien moyen, d’où cette image, certes faussée, mais malheureusement bien présente et bien relayée, campagne électorale oblige, de coalition d’élite en rupture avec les priorités et les revendications de la base populaire.

  • Il est quand même paradoxal de constater que le PDM, coalition de gauche, dont le discours et le positionnement s’appuient, par nature et par essence, sur la fracture sociale, les disparités économiques et la lutte des classes, est soutenue, à bout de bras et en majorité, par la classe la moins pauvre pour ne pas dire la plus aisée. Le scrutin en est le témoignage le plus cinglant.  Bien sûr, c’est à l’honneur de ses militants et sympathisants, mais si l’on se place par rapport à la perception des électeurs, cet aspect pourrait constituer un facteur de renoncement, voire de rejet, d’où cette assimilation du PDM  à une élite bourgeoise, coincé dans sa tour d’ivoire et déconnectée de la réalité et du peuple. La notion de "Weld Echaab" (Fils du peuple), la faconde et le look populaires, le message terre-à-terre, la focalisation sur le quotidien, souvent très pénible, ont agi comme vecteurs d’identification et de représentativité. D’ailleurs, la présence massive d’hommes de lettre et d’art a consolidé l'idée d'une gauche caviar qui n'a rien avec le petit peuple. Erreur de communication qui avait indisposé plus d’un électeur moderniste, j’en connais autour de moi..  

  • Qu’on le veuille ou non, le discours populaire, voire populiste, et la campagne de proximité, notamment dans les zones d’ombre, de précarité et de dénuement dont regorge la Tunisie même dans les grandes villes, a constitué le fer de lance et le cheval de bataille d’Ennahdha, et, à un degré moindre, du CPR, outre El Aridha même si les sièges que celle-ci a glanés sont le fruit beaucoup plus d’un vote d’ordre tribal que d’un travail de terrain tout azimut. J’ai l’impression que le PDM, en particulier sa direction, a trop focalisé sur le grand Tunis au détriment de la Tunisie profonde, la répartition des sièges obtenus le montre distinctement. A certains égards, une campagne électorale à deux vitesses. Je ne veux guère préjuger ou sous-estimer le travail des militants PDM à l’intérieur de la République, loin s’en faut, je suis très mal placé pour le faire et je les en remercie en tout état de cause, mais c’en est là la perception générale qui se dégage.


3-      Concernant le cadre électoral, je souhaite soulever les principaux points suivants :

  • Ahmed Ibrahim, avec son vécu, son aura et sa notoriété, n’aurait pas du se présenter mais soutenir et faire campagne pour toutes les listes PDM, traversant le pays en long et en large à cet effet. Les tunisiens ont besoin de s’identifier à un leader et Ahmed Ibrahim dispose de toutes les qualités pour mobiliser, rassurer et apporter ainsi une valeur ajoutée à chacune des listes PDM. Ceci est d’autant plus pertinent, à mon sens, que Ahmed Ibrahim est la seule grande figure du PDM connue et reconnue par les tunisiens.  Certains me diraient que la présence d’Ahmed Ibrahim à la Constituante est importante, je dirais seulement que si l’on se place dans une logique électorale, gagner plus de sièges est plus concluant que la présence d’un homme à la Constituante aussi compétent et décisif soit-il. En politique, ce sont les intérêts, notamment partisans, qui priment sur les hommes.   

  • Si j’en juge par certaines informations recoupées, le PDM, qui a pourtant présenté une liste dans chaque circonscription, n’a été représenté que dans peu de bureaux de vote, qui sont au nombre de 7260 selon l’ISIE. Nul doute qu’il s’agit d’un problème de moyens aussi bien humains que matériels mais toujours est-il que je n’ai pas la nette impression qu’on a pris la pleine mesure de la présence du PDM dans chaque bureau de vote. On dirait que cet aspect aurait été négligé.

  • Je ne préjuge de rien, je pose juste la question : Est-ce que le PDM a placé le candidat qu’il faut à la circonscription qu’il faut ? Hors le grand Tunis, est-ce que les listes étaient composées de personnes du terroir, originaires et résidentes de la circonscription correspondante ? Je n’invente pas la roue mais mener une campagne dans son fief est un atout souvent déterminant.

  • A moins que je me sois complètement gouré, auquel cas je m’en excuse platement, je n’ai pas entendu parler, quelques jours avant les élections, de la tenue d’une quelconque réunion de coordination groupant toutes les listes, tout au moins les têtes de liste, pour convenir du discours à tenir et des messages à passer selon la spécificité de chaque circonscription (l’auditoire de Tunis n’est pas celui des régions de l’intérieurs longtemps marginalisées) et pour moduler et ajuster la campagne en fonction de l’environnement social de l’électorat ciblé.

  • J’ai beau cherché, notamment sur le site du PDM, je n’ai pas trouvé une orpheline indication sur le nombre et l’emplacement des locaux. Combien y en a-t-il en dehors du grand Tunis? Je doute qu’ils soient nombreux ou bien répartis. Le cas échéant, ce manque d’implantation explique, dans une large mesure, pourquoi le PDM n’a gagné aucun siège hors du grand Tunis. Là aussi j’admets qu’il s’agit d’un problème de moyens. En prévision des prochaines échéances électorales, qui sont autrement plus importantes car il s’agira là de gouvernance, l’idéal serait d’avoir un local PDM dans chaque Délégation (معتمدية), qui sont au nombre de 264 si je ne m’abuse.   

4-       Au sujet de la trajectoire du PDM, il y a lieu de relever des handicaps certains et des vertus indiscutables :

  • La constitution tardive du PDM a généré des effets adverses sur sa visibilité, sa campagne électorale, son déploiement, sa prestation et, par conséquent, sur le résultat final.

  • Sa nature de conglomérat serait de nature, quelque part, à brouiller l’image et le message que l’électorat percevait du PDM. Entité composite, forcément hétérogène, groupant partis politiques et initiatives citoyennes, ce qui est en soi une  louable innovation, le PDM semble en avoir souffert dans son organisation, sa coordination et son action, outre le risque encouru (et avéré dans les faits) d’avoir un discours à géométrie variable et non unique, en l’occurrence, voir ses chefs de file tenir un langage décalé, voire contradictoire. Donc, un vrai problème de communication et de cohérence donnant lieu à une mauvaise sinon négative perception de la part de l’électorat potentiel. Le conglomérat du PDM se traduit automatiquement par le conglomérat de sa base (militante et sympathisante). 

  • Hétéroclite au sommet comme à la base, le PDM a pâti forcément d’un problème d’identité. On ne sait plus où le situer exactement, au centre, au centre gauche ou à gauche. On identifie le PDM selon l’appartenance et le discours de l’interlocuteur présent, orateur qui s’appuie forcément sur les références de son parti ou de son initiative citoyenne et non sur une ligne commune bien établie et bien tangible. Un grand écart idéologique et politique, qui s’est avéré préjudiciable au PDM en termes d’identité, de représentativité et de visibilité.

  • Le manque de moyens en termes humains et financiers a pénalisé le PDM et a entravé son action. Nul doute qu’il est à l’honneur du PDM de ne pas ouvrir ses portes aux financements louches et de préférer la voie autonome sans compromission. Toujours est-il  que les moyens matériels, notamment financiers, restent les nerfs et les muscles de toute bataille électorale.

  • En termes de médiatisation, le PDM a été pénalisé. Sa courte vie et son manque de moyens expliquent, du moins en partie, cet état. Sur ce terrain, le PDM ne pouvait rivaliser avec les grosses cylindrées.

  • Par contre, l’idée du PDM en elle-même est porteuse de grandes perspectives :

-          Le fait de participer aux élections en tant que coalition, la plus large possible, traduit une lecture fiable et objective de l’état des forces modernistes tunisiennes et son réel enracinement populaire.

-          Le PDM a dynamisé le paysage politique tunisien et a crée autour de lui un mouvement de sympathie et d’engouement qu’il faut capitaliser et fructifier pour rassembler les modernistes derrière un projet fédérateur et catalyseur.

-          Le PDM reste un chantier politique à boucler et dont les axes et les contours restent à définir. Même si sa naissance a obéi à des considérations électorales, donc ponctuelles, le PDM est maintenant à la croisée des chemins. Il appartient à ses leaders, en consultation avec leurs bases, de convenir de l’étape à suivre.


5-       Pour ma part, compte tenu de ce qui précède, j’estime que le projet PDM est irréversible, d’où l’impératif de le transformer en parti politique articulé, comme tout parti politique, sur une unité de programme, de démarche, de plate-forme idéologique et de discours. Pour ce faire, et avant le débat d’idées pour définir le cadre politique et institutionnel de ce nouveau parti, il y a deux sérieux préalables corrélés à lever :

a-      La question de l’adhésion au projet : Est-ce que les partis et initiatives composant le PDM sont disposés à franchir le pas et à se diluer dans ce nouveau parti ? Dans ce cas, une formation politique aussi historique qu’Ettajdid accepte-t-elle de se dissoudre à cette fin ? Quels sont les autres mouvements tunisiens susceptibles d’en joindre les rangs ? La question n’est pas facile, la réponse encore moins, à ce stade.

b-      Le problème de leadership : Dans le cas où la question de l’adhésion au projet était réglée, quelles seraient les figures capables de jouer le rôle de leaders, supposés fédérer toutes les forces vives ?

 Voilà un avis tout personnel sur la prestation du PDM et le processus électoral ainsi que l’étape à suivre pour le projet PDM.

 Jalel SNOUSSI

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