Adonis, aux intellectuels arabes :
"vous êtes des lâches"
Il n’existe d’intellectuels que quand ils sont capables d’interpeller la production des idées, des valeurs, des lois et les puissances d’argent d’un pays quel qu’il soit…
Le temps des prophètes est révolu heureusement mais il reste celui des sages, qui ne parlent pas à la place du peuple mais avec lui… Jusqu’à quand les aspirations seront- elles dévoyées par l’obscurantisme qu’il s’agisse de la religion ou de la croyance en la supériorité d’un peuple sur un autre, des riches sur les pauvres ? Ceux qui ont été capables d’avancer contre la soumission, la peur doivent-ils l’infliger aux autres ? Pires encore ceux qui s’affirment les héritiers d’un combat et qui touchent les bénéfices des luttes des autres…Je ne parle pas seulement de l’Algérie ni d’aucun pays arabes… J’ai encore plus de mépris pour les rentiers bicentenaires de la Révolution française ou ceux qui affirment le droit à oppresser au nom des martyrs d’Auschwitz… Arrêtez la tartufferie…
(note de Danielle Bleitrach)
Il s’appelle en fait Ali Ahmed Saïd Esber, et ce pseudo qu’il a choisi, se réfère au dieu d’origine phénicienne, symbole du renouveau cyclique. Il n’aurait pas pu trouver mieux, quand on sait que tous ses livres (éd. Mercure de France) ont pour thèmes l’injustice, la dictature, la guerre et la misère.
A 78 ans, lors de sa dernière intervention à la bibliothèque nationale d’Alger, Adonis le syrien, considéré comme le plus grand poète arabe vivant, a foutu un tel merdier.
Tout d’abord, rappelons que c’est bien l’intervention d’Adonis, ainsi que la publication du livre de Mohamed Benchicou qui sont à l’origine du remerciement d’Amine Zaoui de la bibliothèque nationale d’Alger, dont il était le directeur, par la ministre de la culture, Khalida Toumi-Messaoudi.
« Les intellectuels arabes sont des sbires du pouvoir » (Adonis) Extraits de l’intervention d’Adonis à la Bibliothèque Nationale d’Alger.
Et accrochez-vous, car ça va vous changer beaucoup de la langue de bois de Yasmina Khadra et de quelques autres :
« Je suis contre tout Etat bâti sur la religion. »
« Je m’oppose à l’islam régime, à l’islam institution » dit-il.
Adonis était très attendu par les intellectuels algériens. La bibliothèque nationale était bandée de monde.
Face à un public ravi, il hurle :
« Nos intellectuels sont des instruments du pouvoir, ce sont des lâches! »
Et il dit cela en Algérie, aujourd’hui. Qui l’aurait cru ?
Ce vieux poète est allé en Algérie cracher ses vérités, vomir le fond
de sa pensée et maudire les gouvernements arabes qui sont restés
aujourd’hui à la traîne des nations. Des hommes politiques qui ont
pourtant été parmi les libérateurs de leurs Etats du joug de la
colonisation.
« Vers une résistance radicale et globale » conseille-t-il au public qui l’applaudit.
Une magnifique conférence sur l’impasse de la pensée arabe et la
crise de modernité qui secoue les sociétés arabes. Sa venue a drainé un
public fou, tant son discours est en rupture totale avec le
politiquement correct, la langue de bois, et le discours officiel
dominant.
D’emblée, il s’est attaqué à la question de la « nécessaire » sécularisation des pays musulmans.
« Je suis respectueux de l’islam. Je suis au-delà de toutes les
religions, je vais au bout de toutes les spiritualités et des
expériences humaines. Mais je suis totalement opposé à l’islam
institution, à l’islam régime », dit-il.
De la provocation. De l’audace. Du courage, en veux-tu en voilà. Et
ce n’est qu’un début, car le conférencier ne va pas mâcher ses mots. Il
s’attaque aux régimes arabes, particulièrement ceux qui ont pris le
pouvoir depuis la seconde moitié du 20e siècle et qui vivent un échec
cuisant, car « ils n’ont pas pu libérer l’Homme et asseoir des Etats
modernes basés sur le droit et le respect de l’individu. »
Il argumente sa réflexion en se basant sur la dure réalité à laquelle font face les populations arabes et musulmanes.
« Ces politiques ont des réflexes tribaux, ils nient l’individu et la
liberté individuelle. Les élites politiques qui se disent progressistes
et laïques, qui ont libéré leurs pays du joug de la colonisation, n’ont
fait que perpétuer le clanisme et le népotisme et sont soutenus par des
intellectuels, ce sont leurs complices !»
Adonis tire à boulets rouges sur ces « intellectuels » qui n’ont aucune valeur morale.
« Dans nos sociétés arabes et musulmanes, l’élite intellectuelle ne
remplit aucun critère de probité morale qui lui permet d’être à
l’avant-garde des changements nécessaires. C’est-à-dire la
sécularisation de la société qui est au cœur de la crise de la modernité
dans ces sociétés. »
Il va encore plus loin, écœuré et blasé par la situation actuelle,
politique, culturelle, sociale et économique qui prévaut dans les pays
arabes, ce poète hors normes vomit le fond de sa pensée et il le dit tel
quel : « advienne que pourra ! »
Non mais vous le croirez ? Encore un bout :
« Les intellectuels dans le monde arabe manquent de courage, ils sont
frileux lorsqu’il s’agit d’évoquer la question de la laïcité : le texte
(le Coran) est constant, mais son interprétation change, or il n’y a
aucun effort de questionnement théorique en la matière », déplore-t-il.
Ainsi, l’absence de pensée critique a coupé l’intellectuel arabe de
la société, faisant de lui non pas un être autonome pensant par
lui-même, mais un «instrument» au service des gouvernants. Comme tout ça
est vrai. Il explique que le monde arabe est privé aujourd’hui d’une
élite intellectuelle qui remettra en cause la pensée traditionaliste et
les modèles tribaux.
« Nos sociétés sont sclérosées. Nous sommes absents de la carte du
monde actuel et en marge du cours de l’Histoire », se désole-t-il
encore.
20
juil 2013
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