"Il
n'y pas de dogmes en économie" et toute mesure a des impacts différenciés
voire parfois antagonistes.
Depuis 2012, la
BNS a instauré une politique de maintien d'un taux de change qui ne
pénaliserait pas ses exportations de biens et services (blocage du taux de
change du franc suisse vis à vis de l'euro)...mais voilà pour maintenir ce
blocage, la BNS intervenait constamment pour "acheter des euros" à
tel point que l'exposition de son bilan vis à vis de cette monnaie devenait
importante, assez importante pour être inquiétante; d'autant plus qu'une
accélération de la politique d'assouplissement monétaire de la BCE demeure
envisageable (si les impacts escomptés des actions du QE déjà entreprises ne se
réaliseraient pas), scénario ayant un impact direct négatif sur le bilan de la
BNS présentant une concentration d'emplois en Euro.
La situation
n'était pas donc soutenable, et l'expansion du bilan de la BNS ne pouvait pas
se poursuivre à l'infini, et le jour de vérité était venu...un 15 janvier 2015,
la BNS annonçait la fin du maintien du seuil de 1.2 franc suisse pour un Euro.
Rapidement, une quasi-parité de change s'est installée, et l'alarmisme
concernant les dégâts économiques qui allaient résulter d'une telle
décision s'est imposée dans tous les cercles médiatiques et économiques.
Un an après, c'est
l'heure du bilan, et la réalité semble être relativement différente de ce que
nous ont prédit les apôtres de "l'analyse économique médiatique". In
fine, C'est la conjugaison simultanée de plusieurs facteurs qui a été
décisive et déterminante.
Un
an après la décision de la BNS, La TRIBUNE, revient sur les effets du franc fort sur l'économie
helvétique.
A bientôt
L'équipe
de Terra Nova Tunisie
Suisse
: un an après, quels ont été les effets du franc fort ?
Le
15 janvier 2015, au matin, la Banque Nationale de Suisse (BNS) provoquait, par
surprise, une tempête sur l'économie suisse en annonçant l'abandon du seuil de
1,20 franc suisse par euro qu'elle avait mis en place en 2011(*). Aussitôt, la
monnaie helvétique passait la parité avec la monnaie commune pour monter
jusqu'à un niveau record : 0,97 franc pour un euro. Un peu partout dans la
Confédération, les autorités politiques et patronales se montraient très
inquiètes pour l'avenir de l'économie helvétique face aux effets de cette
réévaluation brutale du franc.
Croissance
ralentie
Un
an après, quel est le bilan économique du mouvement de la BNS ? L'économie
suisse a clairement ralenti, mais elle ne s'est pas effondrée. Les chiffres de
la croissance de l'année 2015 ne sont pas encore connus - ils ne le seront que
début mars - mais les trois premiers trimestres de l'année ont montré un
coup d'arrêt. Au troisième trimestre, le PIB est resté stable, après une
croissance de 0,2% au deuxième trimestre et un recul de -0,3 % au premier
trimestre. A titre de comparaison, au troisième trimestre 2014, la croissance
suisse était de 0,6 %. Les prévisions de croissance des économistes pour 2015
sont passées de 1,8 % au début de l'année à 0,8 % aujourd'hui. En 2014, la
croissance annuelle était de 1,9 %. Le rythme de progression de l'économie
helvétique a donc été divisé par deux. Pire, le PIB par habitant, lui, a reculé
de 0,2 %.
L'effet
principal s'est évidemment fait ressentir sur les exportations de biens. En
rythme annuel, ces dernières étaient 0,9 % inférieures à leur niveau du
troisième trimestre 2014 lors de la même période de 2015. Selon une enquête de
Deloitte(**), 90 % des 393 entreprises interrogées en novembre ont estimé qu'elles
avaient été touchées par la hausse du franc. Un tiers des entreprises du
secteur de l'industrie des biens d'équipement devraient faire face à une perte
opérationnelles. Les exportations de services, contenant notamment le tourisme,
ont baissé de 0,3 % sur un an au troisième trimestre.Les touristes ont
progressivement été découragés par la force du franc de visiter le pays.
Mécaniquement, les Suisses sont allés dépenser massivement leurs francs à hors des frontières nationales, que ce soit pour faire du tourisme ou pour réaliser des achats. Le « tourisme frontalier » pour faire ses courses de l'autre côté des frontières a explosé (+ 8 % sur l'année) et les importations de services ont crû de 12,8 % au deuxième trimestre sur un an et de 8,2 % au troisième trimestre.
Le secteur de la construction a également été touché de plein fouet (-1,9 % sur un an au 3ème trimestre), en grande partie parce que l'immobilier suisse est très dépendant des clients étrangers qui ont été découragés par le franc fort.
Pour autant, il n'y a pas eu l'effondrement annoncé. Pour deux raisons : (1) la vigueur de la demande intérieure et (2) la réaction des entreprises exportatrices.
La
consommation des ménages et des administrations sauvent la mise
La consommation des ménages, mais surtout celle des administrations publiques ont en grande partie sauvé la conjoncture suisse. Au troisième trimestre, la dépense publique a progressé de 1,8 % sur un trimestre et 3,9 % sur un an. L'effet contra-cyclique de cette dépense a été une des raisons pour lesquelles la croissance est restée stable entre juin et septembre.
Du côté des ménages, malgré un ralentissement des revenus, dont la croissance ne devrait pas dépasser 0,8 %, notamment sous la pression des mesures de contrôle des coûts suite au franc fort, le pouvoir d'achat a progressé, grâce à une baisse des prix de 1,1 %. Comme ailleurs en Europe, le transfert de pouvoir d'achat depuis l'énergie a joué à plein, mais il a été amplifié par la baisse des prix des produits importés de façon générale sous le coup du franc fort. D'où une consommation des ménages en progression de 1,3 % sur un an au troisième trimestre.
La réaction des entreprises exportatrices
Mais la clé de la résistance suisse, c'est celle des entreprises exportatrices. Ces dernières ont d'abord réagi en baissant leurs prix pour compenser la perte de compétitivité due à la monnaie.
Elles ont accepté de comprimer leurs prix et, à partir de la mi-2015, le franc suisse s'est stabilisé à un niveau plus « acceptable » pour l'industrie, soit entre 1,07 et 1,09 franc par euro. Une stabilisation qui explique en grande partie celle de l'économie.
La baisse des prix à l'importation, ajoutée à celle du prix des matières premières, a permis également de compenser ces baisses de prix.
Beaucoup ont réagi à la baisse des commandes en ayant recours au chômage partiel. Fait intéressant : les entreprises suisses ont profité des taux bas pour continuer à réaliser des investissements productifs, même si le rythme de ces investissements est plus faible qu'avant le 15 janvier 2015. Cette capacité d'investissement permettra aux entreprises d'améliorer leur productivité et de compenser l'effet monétaire.
Les effets sur l'emploi
Cependant, les effets sur l'emploi n'ont pas été nuls et beaucoup d'entreprises ont dû licencier pour faire face au franc fort. En décembre 2015, la Suisse comptait 11.260 personnes de plus qu'un an auparavant en chômage, soit une progression de 7,6 %. Si le taux de chômage demeure à un niveau très faible (3,4%), le nombre des demandeurs d'emploi, 158.629 personnes, est le plus haut niveau depuis avril 2010. Certains économistes, comme Franz Jaeger, professeur émérite à l'université de Saint-Gall, mettent en garde : la « Suisse s'est engagée dans une période de désindustrialisation. » Selon lui, les effets du franc fort ne se sont pas encore réellement faits sentir, comme le prouve le recul des commandes à l'exportation. Il est vrai que plusieurs secteurs, notamment l'horlogerie, sont fortement touchés.
Et pour 2016 ?
Pour 2016, les économistes tablent sur une légère accélération de la croissance : 0,9 % pour les équipes de la banque Raiffeisen, 1 % pour ceux de Credit Suisse. UBS et les autorités fédérales sont plus optimistes et tablent sur une croissance de 1,4 % et 1,5 % respectivement.
Mais, en réalité, ces prévisions sont basées sur une inconnue qui décidera du sort de l'économie helvétique : la croissance de la zone euro. Si cette dernière se redresse et que la BCE parvient à sortir du risque de déflation, elle n'accélérera pas son assouplissement quantitatif (QE) et le franc suisse aura une chance de se stabiliser autour de 1,10-1,15 euro, soit un niveau finalement acceptable pour les exportateurs helvétiques qui profiteront, du reste, de la reprise de la zone euro, leur principal marché.
Le scénario du pire...
Mais
si la situation se dégrade à nouveau en zone euro et que la BCE doit encore
renforcer son dispositif d'assouplissement quantitatif, le franc suisse pourrait encore se renforcer. Et
c'est ici qu'il y aurait danger pour le pays. Car, avec une nouvelle perte de
compétitivité, les entreprises suisses pourraient ne pas avoir d'autres choix
que de délocaliser et de réduire massivement leurs effectifs. Dans ce cas,
l'effet serait inévitable sur la demande intérieure et l'effet d'aubaine liée à
la baisse des prix disparaîtrait. Or, soumises à la pression des prix sans
pouvoir augmenter leurs ventes en volume, les entreprises tournées vers la
demande intérieures devraient, elles aussi, réduire leurs coûts en comprimant
les effectifs.
Une
spirale qui n'est pas le scénario central pour la Suisse, mais qui ne peut être
exclu. L'année 2015 a été une année de résistance, mais il sera difficile de
faire face à un deuxième choc. D'autant que la BNS, qui empêche la hausse du
franc avec un taux négatif de -0,75 % et des interventions ponctuelles sur le
marché, n'a guère de moyens de faire face. Réduire davantage son taux
risque de déstabiliser encore le secteur bancaire suisse, déjà sous pression
avec la fin du secret bancaire.
(*)Taux plancher: la BNS n’avait pas le choix
(**)Enquête Deloitte
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