jeudi 24 janvier 2013

Crise : «Le Japon prend le contre-pied total de l'Europe»




Crise : «Le Japon prend le contre-pied total de l'Europe»







INTERVIEW Le nouveau gouvernement nippon a décidé de pratiquer une politique de relance et compte sur une dépréciation du yen pour augmenter sa compétitivité. Les explications de Bruno Ducoudré, économiste à l'OFCE (*).


Bruno Ducoudré, économiste à l'OFCE

A contre-courant d’une Europe qui cherche son salut dans l’austérité, le nouveau gouvernement japonais mise sur la relance et l’assouplissement monétaire. Une réunion de la Banque centrale du Japon, ouverte ce lundi pour deux jours, devrait déboucher sur une hausse de l'objectif d'inflation. Il y a quelques jours, c'est un gigantesque plan de relance de 20 trillions de yens (175 milliards d'euros) qui a été annoncé. Le gouvernement du conservateur Shinzo Abe compte également sur la dépréciation du yen pour rendre les produits japonais plus compétitifs à l'exportation. 

Le premier ministre japonais Shinzo Abe (4ème gauche) participe le 18 janvier 2013 
à une réunion de crise à bord de l'avion utilisé lors de sa tournée en Asie (AFP)


Pour Bruno Ducoudré, économiste spécialiste du Japon à l'OFCE, le pays «préfère sortir de la récession par la relance, puis consolider sa dette, plutôt que l’inverse». Mais sa situation serait «trop différente» de celle de l'Europe pour que ses recettes inspirent le Vieux Continent
Que se passe-t-il en ce moment entre le gouvernement japonais et la Banque centrale du pays ?


On assiste à un jeu de pouvoir entre la BoJ et le nouveau Premier ministre, Shinzo Abe. 

La Banque centrale [BoJ, Bank of Japan] est théoriquement indépendante, mais Abe souhaite la pousser à augmenter ses rachats d’obligations publiques pour financer un plan de relance de 20 trillions de yens, dont 10 seront financés par le gouvernement

Un autre objectif est de faire passer l’objectif d’inflation de la Banque centrale de 1 à 2% afin de sortir de la déflation dans laquelle est plongé le Japon.
Ce plan est-il tenable, alors que le taux d’endettement du Japon est deux fois supérieur à son PIB ?
Il s’agit d’un programme de relance à court terme, visant notamment à préparer les prochaines élections, en juin. Une fois qu’il aura été mis en place, si l’activité repart, le gouvernement remettra en place la politique de réduction de la dette

Les prochaines hausses de TVA, en 2014 et 2015, sont déjà votées. Simplement, le gouvernement préfère sortir de la récession par la relance, puis consolider sa dette, plutôt que l’inverse.
Pourquoi le gouvernement souhaite-t-il que le yen se déprécie par rapport au dollar ?
La dépréciation du yen s’explique en partie par la hausse anticipée de la cible d’inflation, mais aussi par les rachats d’actifs par la BoJ et le plan de relance annoncé récemment par le gouvernement. 

C’est une bonne nouvelle pour l'économie japonaise, car cela lui permettra de gagner en compétitivité, en rendant ses produits moins chers à l’exportation. C’est un petit plus au plan de relance, qui va soutenir l’activité. Cela va également importer de l’inflation, puisque les importations coûteront plus cher.
Qu’est-ce que cette déflation de laquelle le Japon tente de sortir ?
Elle est apparue dans les années 90 après l'éclatement d’une bulle immobilière et du marché des actions, puis de nouveau lors de la crise actuelle. C’est une situation dans laquelle l’ensemble des indices de prix et de salaires diminuent de façon durable, notamment en raison d’une demande insuffisante

La Banque centrale estime que le phénomène vient du vieillissement de la population et qu’elle ne peut rien y faire

Le gouvernement considère, lui, que la Banque centrale n’en a pas fait assez.

Le plan japonais pourrait-il inspirer l’Europe ?
Le Japon prend le contre-pied complet du Vieux Continent, mais la situation est trop différente pour comparer les deux plans. En Europe, nous ne sommes pas encore en déflation

Par ailleurs, le Japon, à la différence de la zone euro, est un espace économique et politique unifié. 

Par ailleurs, la Banque centrale européenne est beaucoup moins dépendante des gouvernements : notamment, elle ne rachète pas de façon inconditionnelle les titres de dettes qu’ils émettent.
L'effort de dépréciation du yen risque-t-il d'entraîner une «guerre des monnaies» ? 
Il y a un risque, en effet, qu'il entraîne des réactions similaires de la part des autres puissances.


(*) OFCE : observatoire français des conjonctures économiques - centre de recherche en économie de Sciences Po


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