dimanche 5 février 2012

La chute de Dominique Strauss-Kahn, par Albert Camus


Chaque jour, Patrick Besson emprunte la plume d'un célèbre écrivain, français ou étranger, mort ou vivant, génial ou nul, pour nous raconter la campagne électorale.

 
Patrick Besson






Je me suis levé de bonne heure. Il y avait de la buée sur les cinq fenêtres de ma chambre. Je suis allé dans la cuisine. J'ai demandé à Anne pourquoi nous n'avions plus de bonne. Elle a levé les yeux de son café au lait sans sucre et m'a dit :

- Devine.


Pendant la journée, je n'ai rien fait. J'ai pensé que le monde était absurde et que le suicide était le plus grand problème philosophique. J'ai marché dans la place des Vosges, où j'ai croisé Jack Lang qui faisait campagne. J'ai eu beau lui expliquer que sa circonscription se trouve dans les Vosges, et non place des Vosges, il a continué de serrer des mains. Elles étaient froides, à cause de la température extérieure.

La nuit est tombée tôt parce que c'était l'hiver. Le froid est devenu plus vif. Je suis remonté à l'appartement et j'ai commandé un thé, puis je me suis rappelé que nous n'avions plus de bonne et, comme Anne était sortie pour un rendez-vous avec Raphaël Enthoven et Christine Ockrent, j'ai fait mon thé moi-même. Je me suis renversé de l'eau bouillante sur la main. J'ai cherché un pansement dans l'armoire à pharmacie et n'en ai pas trouvé. J'ai mis un calmant, puis un autre, et j'ai regardé ma plaie, longuement. Je n'avais plus envie de thé. J'ai commencé par composer le numéro d'Anne, puis j'ai renoncé. De toute façon, elle devait être sur vibreur. Moi, elle m'a interdit d'être sur vibreur. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m'a dit :

- Devine.

À 20 heures, j'ai allumé la télévision et j'ai suivi l'intervention du président de la République sur huit chaînes de télévision, dans le cadre de sa lutte contre le zapping. Il a dit des banalités économiques, que j'ai écoutées d'une oreille distraite en grignotant des chouchous, ma friandise préférée. La main commençait à me faire mal. J'ai repris un calmant. La voix du président était un bruit de fond. J'ai pensé que ce pourrait être la mienne. Je me suis demandé si je le regrettais ou m'en félicitais, mais n'ai pas trouvé de réponse. J'ai voulu éteindre le poste. Je n'ai pas trouvé la télécommande.


En marchant vers la télé, je me suis pris les pieds dans le tapis et je suis tombé. Je suis resté allongé jusqu'au retour d'Anne, ne voyant aucune raison de me remettre debout.




Patrick Besson



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