mercredi 8 février 2012

Rachida, par Vladimir Nabokov


Chaque jour, Patrick Besson emprunte la plume d'un célèbre écrivain, français ou étranger, mort ou vivant, génial ou nul, pour nous raconter la campagne électorale.


   Patrick Besson





Le bout de la langue fait trois petits bonds le long du palais : Ra-chi-da. La première syllabe au nom du dieu du soleil s'échappe, avec une grâce juvénile et fantasque, du fond de la gorge, comme si l'on voulait en chasser un chat qui n'existe que dans notre imagination protubérante. Le chi - "elle" dans ce langage barbare quoique charmeur par moments, ceux par exemple où on l'écrit dans le premier mouvement viril du matin, quand l'aube célèbre de nouveau notre existence en soulevant le chapeau pointu des nuages : l'anglais - siffle dans le silence bouleversé.

Le "da" - "oui" en russe, ce russe si riche et si subtil qu'il laisse derrière lui toutes les autres langues, sprinter n'ayant pas attendu le coup de pistolet anodin et dérisoire du juge arbitre pour s'élancer vers le bout de la piste rougeoyante du cent mètres - ferme la marche de cette courte farandole qui vagabonde dans les esprits à chaque fois que Rachida - Ra-chi-da - montre sa figure lisse, encadrée de cent cheveux de ce noir profond des nuits du Caucase, sur un écran de télévision.

Sa bouche fine, mais néanmoins subtilement sensuelle, et même, diraient certains hommes dangereusement tentés par le sentiment amoureux, envoûtante dans sa fausse pureté souriante, s'ouvre soudain pour laisser échapper une parole sifflante qui met presque toujours en cause un ministre de la République, un certain François Fillon, dont je n'ai pour ma part jamais entendu parler, un de ces discours ouvriers de la politique, occupation que je déconseille pour ma part à toute personne possédant un minimum de sensibilité artistique, voire simplement humaine. Rachida : oui à son soleil.

Coeur diversiforme

Elle était Ra le matin, dans sa danse légère d'Opéra de Paris avec laquelle elle filait vers la salle de bains pour ne pas être en retard à la mairie du 7e arrondissement. Elle était Chi à midi, quand elle s'installait à la table de Tarte Marguerite rue de Bourgogne, pour manger sans assaisonnement une carotte crue et un peu de fromage dégraissé. Elle était Da le soir, quand elle se vêtait de cuir noir pour se rendre, seule ou non accompagnée, à un dîner dans un arrondissement voisin ou même parfois de l'autre côté de la Seine sombre encore que rutilante, dans le seizième arrondissement de Paris ou encore à Neuilly, cité relativement lointaine naguère gouvernée par un homme dont Rachida semblait avoir souffert, mais qu'elle ne pouvait s'empêcher de continuer, d'une façon détournée et irréfléchie, de chérir dans son coeur diversiforme.


Mais pour moi, elle était et sera toujours Rachida, la petite fille née le 27 novembre 1965, à Saint-Rémy, en Saône-et-Loire, de M'Barek, maçon, et de Fatim-Zohra Delhoum, magicienne orientale sans qui ma vie n'aurait été qu'un monotone et ridicule glissement vers le néant.


Patrick Besson

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