Chaque jour, Patrick Besson emprunte la plume d'un célèbre écrivain, français ou étranger, mort ou vivant, génial ou nul, pour nous raconter la campagne électorale.
- Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ? demanda Maigret.
Sa pipe était froide. C'était normal : il avait, sur l'injonction de madame Maigret, cessé de fumer depuis trente-sept jours. Cette enquête sur la disparition de Bernard Tapie, commandée au plus haut niveau de l'État, risquait néanmoins de le faire replonger.
- Il y a un bon moment déjà, dit la vendeuse de lingerie fine de la rue des Saints-Pères.
L'homme d'affaires habitait en face de la boutique, dans un hôtel particulier du XVIIe siècle, acheté au couturier Givenchy en 1986. Maigret l'imaginait aller et venir dans ses 2 500 mètres carrés, ne pensant à rien. Quand Maigret allait et venait, il ne pensait à rien, lui non plus. Il laissait les choses venir à lui. Il s'imprégnait de la vie des autres. Il humait la réalité.
- C'était un client régulier ?
- Moins depuis son séjour en prison. Il venait surtout pour parler. Je l'écoutais. C'est un monsieur intéressant.
- Il se confiait à vous ?
- Je crois que oui, dit la vendeuse.
C'était une jolie femme d'une trentaine d'années habillée avec élégance et qui donnait une impression de douceur et de compréhension.
- Comment expliquez-vous sa fuite ?
- Sa fuite ?
- On est en pleine campagne électorale. La politique, ça le passionne : il a été député des Bouches-du-Rhône, ministre de la Ville, député européen. Il devrait avoir envie de s'exprimer, de prendre position. Et rien.
- Je crois qu'il ne veut pas embarrasser madame Lagarde et surtout monsieur Sarkozy, à cause des 390 millions d'euros qu'on lui a remboursés en 2008. Vous comprenez, en cette période de crise, le montant peut paraître astronomique. Pourtant, il me l'a expliqué, il avait droit à cet argent. Je n'ai pas tout compris, mais je sais qu'il disait la vérité.
- Où est-il, mademoiselle ?
- Je ne sais pas.
- Vous pouvez me montrer la réserve ?
- L'arrière-boutique.
- Oui. Non. Pourquoi ?
Maigret sourit. Une fois de plus, sa méthode avait fonctionné : ruminer, guetter, sentir. Laisser parler l'instinct plutôt que l'intelligence. Fébrile, blanche, presque en larmes, la vendeuse le conduisit au bout d'un couloir où s'offrit à lui un spectacle ahurissant : 390 millions d'euros en billets de 500. Au milieu de cette montagne de papier monnaie, un homme de 69 ans et de 1 m 77, teint en châtain foncé : Bernard Tapie.
- Ah ! Maigret, s'exclama-t-il en voyant le commissaire. J'adore ce que vous faites.
Tapie portait un survêtement Adidas bleu pétrole. Il se pesa sur une balance Terraillon.
- Merde, souffla-t-il. Ça ne s'arrange pas.
Remarquant que Maigret ne pouvait détacher son regard des 390 millions en liquide, il dit, avec son accent faubourien de titi du Bourget :
- Vous faites encore confiance aux banques, vous, Maigret ?
Patrick Besson
Patrick Besson
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