mardi 28 février 2012

La disparition de Tapie, par Georges Simenon

Chaque jour, Patrick Besson emprunte la plume d'un célèbre écrivain, français ou étranger, mort ou vivant, génial ou nul, pour nous raconter la campagne électorale.






- Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ? demanda Maigret.

Sa pipe était froide. C'était normal : il avait, sur l'injonction de madame Maigret, cessé de fumer depuis trente-sept jours. Cette enquête sur la disparition de Bernard Tapie, commandée au plus haut niveau de l'État, risquait néanmoins de le faire replonger.

- Il y a un bon moment déjà, dit la vendeuse de lingerie fine de la rue des Saints-Pères.

L'homme d'affaires habitait en face de la boutique, dans un hôtel particulier du XVIIe siècle, acheté au couturier Givenchy en 1986. Maigret l'imaginait aller et venir dans ses 2 500 mètres carrés, ne pensant à rien. Quand Maigret allait et venait, il ne pensait à rien, lui non plus. Il laissait les choses venir à lui. Il s'imprégnait de la vie des autres. Il humait la réalité.

- C'était un client régulier ?

- Moins depuis son séjour en prison. Il venait surtout pour parler. Je l'écoutais. C'est un monsieur intéressant.

- Il se confiait à vous ?

- Je crois que oui, dit la vendeuse.

C'était une jolie femme d'une trentaine d'années habillée avec élégance et qui donnait une impression de douceur et de compréhension.

- Comment expliquez-vous sa fuite ?
- Sa fuite ?
- On est en pleine campagne électorale. La politique, ça le passionne : il a été député des Bouches-du-Rhône, ministre de la Ville, député européen. Il devrait avoir envie de s'exprimer, de prendre position. Et rien.
- Je crois qu'il ne veut pas embarrasser madame Lagarde et surtout monsieur Sarkozy, à cause des 390 millions d'euros qu'on lui a remboursés en 2008. Vous comprenez, en cette période de crise, le montant peut paraître astronomique. Pourtant, il me l'a expliqué, il avait droit à cet argent. Je n'ai pas tout compris, mais je sais qu'il disait la vérité.

- Où est-il, mademoiselle ?
- Je ne sais pas.
- Vous pouvez me montrer la réserve ?
- L'arrière-boutique.
- Oui. Non. Pourquoi ?

Maigret sourit. Une fois de plus, sa méthode avait fonctionné : ruminer, guetter, sentir. Laisser parler l'instinct plutôt que l'intelligence. Fébrile, blanche, presque en larmes, la vendeuse le conduisit au bout d'un couloir où s'offrit à lui un spectacle ahurissant : 390 millions d'euros en billets de 500. Au milieu de cette montagne de papier monnaie, un homme de 69 ans et de 1 m 77, teint en châtain foncé : Bernard Tapie.
- Ah ! Maigret, s'exclama-t-il en voyant le commissaire. J'adore ce que vous faites.
Tapie portait un survêtement Adidas bleu pétrole. Il se pesa sur une balance Terraillon.
- Merde, souffla-t-il. Ça ne s'arrange pas.

Remarquant que Maigret ne pouvait détacher son regard des 390 millions en liquide, il dit, avec son accent faubourien de titi du Bourget :
- Vous faites encore confiance aux banques, vous, Maigret ?


Patrick Besson
 

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